Skier avec les loups à 2 heures de Montréal


Mathieu-Robert Sauvé
Au bout de cinq heures de ski avec une vingtaine de kilos de matériel sur le dos, le refuge de La Cache apparaît enfin au détour de la piste. Il faudra mettre beaucoup de bois dans le poêle pour affronter la nuit froide (12 degrés sous zéro), mais c’est rassurant de trouver un abri en pleine forêt.
Je me trouve dans le sentier de longue randonnée d’hiver du Parc national du Mont-Tremblant, où pour un prix dérisoire (28,25 $ par nuit), les clients de la Société des établissements de plein air du Québec (SÉPAQ) peuvent réserver un séjour dans ce qui est peut-être le secret le mieux gardé des Laurentides.
Durant la journée, j’ai aperçu de multiples pistes de loups dans la neige. Plusieurs randonneurs rapportent avoir entendu des hurlements. En 2017, des biologistes ont compté neuf meutes dans le parc de 1510 km2, la plus vaste aire protégée du sud du Québec.
Loups ou pas, c’est surtout le silence et la paix qu’on vient trouver ici. Lorsque la nuit tombe, il fait noir comme chez l’ours. En général, on ne veille pas très tard à la chandelle.
Jour 2

La boucle de 54 km de cette randonnée, à partir du stationnement du lac Monroe, compte deux refuges comme celui-ci. Ils sont confortables à condition d’être prêt à vivre avec les souris, se lever au moins trois fois par nuit pour alimenter le poêle et faire ses besoins dans la bécosse... à 50 m de marche.

Après la fermeture des sentiers pendant deux ans et un accès restreint l’an dernier pour cause de pandémie, c’est le premier hiver sans restriction ouvert aux randonneurs. Les réservations vont bon train, mais en milieu de semaine il arrive d’être fin seul dans ces refuges.
Au jour 2, ce sont 22 km en montagne qu’il faut accumuler avant d’apercevoir la silhouette du Liteau, un refuge de six places situé au bord d’un magnifique lac gelé. C’est une journée difficile parce qu’on monte sans cesse. Cinq à six heures d’effort.

Nous sommes ici dans un des sites les plus isolés du parc puisque, si on fait exception des randonneurs, personne ne vient dans cette crête même en plein été.

Les chemins sont impraticables pour les automobiles et les VTT sont interdits. Pour rajouter à la sensation de solitude, on est tout près d’une grande aire de conservation où aucune activité humaine n’est permise.
Jour 3
Après une montée assez raide au matin du troisième jour, les cinq kilomètres de piste enneigée qui mènent vers le lac Monroe sont un pur délice pour le skieur. Une descente presque ininterrompue en zigzag au bord d’un joli ruisseau.

Surprise en fin de parcours : des centaines de milliers de petits points noirs sautillent sur la neige. En approchant, on découvre de minuscules arthropodes qui se fraient un chemin à partir de l’humus jusqu’à la surface de la neige par temps doux. Ce sont des collemboles, mieux connus par leur surnom de «puces de neige».
La forêt boréale n’a pas fini de surprendre ! En deux heures, on retrouve la chaleur du Centre de découvertes.
►Notre journaliste a passé trois jours de janvier en ski de longue randonnée au Parc national du Mont-Tremblant.
- Où : Parc national du Mont-Tremblant, entrée – Lac-Supérieur.
Autoroute 15 jusqu’à Sainte-Agathe-des-Monts ; emprunter la route 117 en direction du Mont-Blanc ; de là, suivre la route en direction du lac Supérieur. Suivre les indications jusqu’au secteur de la Diable. - Réservation : sepaq.com/reservation/modalites/
- Prix : 28,25 $ plus taxes par nuit (en plus des droits d’accès).
- Note : Les refuges ne sont pas chauffés. Bois à volonté et hache sur place. Les randonneurs doivent apporter leur éclairage, leur sac de couchage et le nécessaire pour cuisiner. Un chaudron est fourni afin de faire fondre la neige, puis faire bouillir de l’eau.
D’autres longues randonnées à ski
Le concept de longue randonnée en refuge en plein hiver n’est pas propre au mont Tremblant. La SÉPAQ offre des aventures similaires au Parc national du Mont-Mégantic, en Gaspésie, dans le Charlevoix et dans le Saguenay (Monts Valin). Deux parcs nationaux les offrent l’hiver seulement : le Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie et la Station touristique Duchesnay. Et d’autres sentiers de longue randonnée, comme la Grande traversée du Charlevoix, ne relèvent pas de la société d’État.
Selon le porte-parole de la SÉPAQ, Simon Boivin, ces sentiers nécessitent des coûts d’entretien qui ne sont pas nécessairement compensés par les revenus. «Mais c’est une offre qui répond parfaitement à notre mandat, consistant à donner accès au territoire aux Québécois. Pas question d’y mettre fin.»
Construits au début des années 1980, les refuges de bois rond du Mont-Tremblant ont besoin de réparations. L’isolation du plancher de La Cache a d’ailleurs été refaite en 2022 ; des travaux sont prévus cette année au Liteau. Mais un troisième refuge, au bord du lac Ernie, à une vingtaine à l’ouest du Liteau, est condamné depuis que des bris importants ont été constatés l’an dernier. La décision de le démolir a été prise ; on ne sait pas encore par quel type d’hébergement il sera remplacé.
C’est mon ami Antoine Roy, devenu ingénieur forestier et entrepreneur à Saguenay, qui m’a fait découvrir cet endroit en 1981. Il avait fait sa première randonnée d’hiver en refuge au cégep. «J’avais apprécié l’expérience où on pouvait partir plusieurs jours en ski sans le trouble du camping d’hiver», raconte-t-il au Journal.
À l’époque, on pouvait traverser le parc d’est en ouest en entrant par Saint-Donat et en sortant par le secteur de la rivière du Diable. Un sentier aujourd’hui fermé.