Serge Mongeau: un grand disparu

Jocelyne Robert, écrivaine, sexologue et socio-pédagogue
L’homme le plus doux que j’ai eu le privilège de connaître. Et étonnamment, l’un des plus assertifs aussi. Énergique. Un homme d’une droiture et d’une rare valeur.
Je ne parlerai pas de son mouvement vers une simplicité volontaire, dont tout le monde est au fait. J’ai connu Serge quand j'étais adolescente, il était jeune médecin. Il pratiquait chez lui dans son sous-sol, à Croydon. Oui, oui, Croydon, un patelin faisant jadis partie de Saint-Hubert. Ville où il mettra sur pied, plus tard, le premier CLSC, considéré à l’époque comme un avènement à vocation sociale presque révolutionnaire.
Il a été un pionnier de la sexologie, s’est beaucoup penché sur la question de l’accessibilité à la contraception, au droit à l’avortement, à la sexologie.
Social-démocrate
Peu de gens savent qu’il a fondé, avec son ami Gérald Godin, le Québec-Presse, un hebdomadaire social-démocrate et indépendantiste.
... Aparté...
Aux élections du printemps 1970, Pierre Bourgault avait accepté de se présenter comme candidat péquiste dans le comté de Taillon. C’est moi qui lui avais téléphoné. Nous étions convaincus que les membres réunis l’accueilleraient à bras ouverts et que la population le choisirait, Jacques Ferron ayant obtenu 30% des voix en 1966 pour le RIN. Or, à l’assemblée d’investiture, J.Y. Lefevbre, l’autre candidat qui souhaitait briguer sous la bannière péquiste, avait comme on dit «paqueté la salle»*. Celle-ci était bourrée de plusieurs centaines de «membres» inconnus qui chahutaient, avec, en poche, leur carte du parti si fraîchement imprimée que l’encre n’était pas encore sèche. Jacques Parizeau, présent sur place pour appuyer Bourgault, fulminait. Cet aparté pour dire que finalement, nous sommes tous partis (Bourgault et Parizeau inclus), refusant d’assister à notre défaite par pillage. Lefebvre fut donc élu candidat officiel du PQ par acclamation, dans une salle remplie de faux péquistes.
Refusant de baisser les bras et surtout de voir un homme corrompu accéder au statut de député de notre nouveau Parti Québécois, nous avons approché Serge Mongeau pour qu’il se présente comme candidat indépendant indépendantiste. Outré comme nous tous, il accepta sur-le-champ. Serge n’a pas été élu, il fallait s’y attendre. Toutefois, il récolta assez de votes pour empêcher le forban de l’être. Mission accomplie, mais immense déception, dont on sait qu’elle contribua au retour du FLQ l’automne suivant.
Prisonniers politiques
Avec le poète Gaston Miron, le médecin social participa à la fondation du Mouvement pour la défense des prisonniers politiques québécois.
Comme quelque 500 autres innocents, il fut emprisonné lors de la crise d’Octobre 1970, comme quelque 500 autres innocents, sans raison le 16 octobre. Pour la police et l’armée, tous les citoyens indépendantistes étaient considérés comme des supporteurs du FLQ, et de facto, étaient privés de leurs droits. Ce qui, cela est désormais connu, est entièrement faux. Serge a maintenu qu’il avait été maltraité durant son incarcération. Je me souviens qu’il m’a dit avoir savouré, avec une délectation sans nom, un grand bol de crème glacée lors de son retour à la maison, après plus d’une semaine à l’ombre.
Serge vivra aussi l’aventure de l’organisation communautaire à Haïti et au Chili. Il était présent lors du coup d'État de Pinochet, en 1973 au Chili. Ce putsch, qui le marqua profondément, lui a inspiré le livre Le rêve écrasé Québec-Chili.
Je voulais ajouter mon brin d’amour et de reconnaissance au flot d’éloges qui lui parviennent depuis son décès. Merci pour tout, Serge, et pour bien d’autres choses encore.
Jocelyne Robert
Écrivaine et sociosexologue