Serge Fiori ou Victor-Lévy Beaulieu: à qui les honneurs de l’État?

Daniel Paillé, ex-ministre du Québec
La question, lorsqu’elle est posée à chaud, déclenche immanquablement des réactions passionnées, aussi intenses qu’imprévisibles.
À qui revient l’honneur de funérailles d’État ou de cérémonies officielles? Cette décision prise dans l’urgence et sous la pression émotionnelle de la population relève du gouvernement. Or, en l’absence de balises claires, le risque est grand d’aboutir à des choix perçus comme arbitraires, menant inévitablement à des critiques ou à des frustrations.
La seule règle relativement bien établie semble être celle qui prévoit des funérailles d’État pour les anciens premiers ministres élus. Il est d’ailleurs plausible que le Protocole du Québec ait déjà prévu des scénarios à cet effet pour les anciens PM encore en vie (Lucien Bouchard, Jean Charest, Pauline Marois, Philippe Couillard) ainsi que pour l’actuel titulaire du poste. Mais qu’en est-il de ceux qui ont dirigé sans jamais être élus au suffrage universel? Jean-Jacques Bertrand ou Bernard Landry, par exemple, ont-ils bénéficié d’un tel honneur? Et, à terme, quelle reconnaissance sera réservée aux frères Johnson, Daniel fils et Pierre-Marc?
La réflexion s’étend bien au-delà de la sphère politique. Les décès récents de Victor-Lévy Beaulieu, écrivain de renom, et de Serge Fiori, compositeur, soulèvent la question de la reconnaissance publique accordée aux figures marquantes de la culture québécoise. À qui revient l’initiative d’un hommage? Sous quelle forme? Selon quel protocole? Et, ultimement, qui détient le pouvoir de décision? Ces mêmes interrogations se sont posées, sans réponse uniforme, à l’occasion du décès de Marcel Dubé ou de René Angélil. L’un est disparu dans un quasi-anonymat, l’autre a eu droit aux cloches de la basilique Notre-Dame.
Avec le temps qui passe, cette question se posera avec une fréquence croissante, apportons une réponse structurée.
Séparer le religieux du civique
Un principe fondamental devrait guider toute réflexion: l’État québécois est laïque, et cette neutralité doit être préservée, y compris dans le cadre des hommages posthumes. Or, les funérailles, par définition, relèvent généralement du domaine religieux. Au Québec, elles sont encore très souvent de rite catholique. Que fera-t-on lorsque viendra le moment d’honorer une personnalité d’une autre confession ou d’aucune?
Dans cette optique, il conviendrait que l’État se retire de toute participation aux rituels religieux entourant la mort. Laissons aux familles le soin d’organiser ces moments intimes, conformément aux volontés du défunt.
En revanche, rien ne devrait empêcher l’État d’organiser des cérémonies officielles ou d’État pour saluer la mémoire de citoyens ayant marqué le Québec par leur œuvre, leurs idées, leurs actions ou leurs engagements. Ces cérémonies, planifiées avec les proches, pourraient se tenir dans un lieu symbolique – théâtre, salle de concert, église, aréna –, sans qu’aucune forme ne soit imposée ou exclue a priori.
S’inspirer de ce qui fonctionne
L’Ordre national du Québec, remis chaque année à des personnalités méritantes, offre un modèle pertinent. Il s’appuie sur des règles publiques, souples mais rigoureuses, et bénéficie d’un large consensus. Le gouvernement gagnerait à s’en inspirer pour encadrer les hommages posthumes, afin d’éviter que ces moments solennels ne deviennent sujets à controverse ou incompréhension.
Car les baby-boomers vieillissent, et avec eux s’efface peu à peu une génération de bâtisseurs. Le Québec doit se doter d’un cadre pour dire merci, saluer, se souvenir.
Ainsi, notre devise collective, «Je me souviens», trouvera un écho à la hauteur de sa signification.
Daniel Paillé
Ex-député de l’Assemblée nationale du Québec et de la Chambre des communes du Canada, ex-ministre du gouvernement du Québec et ex-chef du Bloc Québécois