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L'article provient de TVA Nouvelles

Selon l’OQLF l’usage du français dans l’espace public est stable. Vraiment?

Photo d'archives, Agence QMI
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Frédéric Lacroix, Chercheur indépendant, Québec

2024-04-12T04:00:00Z
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L’Office québécois de la langue française (OQLF) vient de frapper fort en publiant une étude qui conclut que non seulement l’usage du français dans l’espace public serait demeuré stable depuis 2007, mais qu’en même temps, l’usage de l’anglais aurait diminué! Que voilà une excellente nouvelle totalement inespérée!

Cette stabilité du français depuis 2007 est d’autant plus remarquable que, sur la période 2006-2021, la proportion de francophones (langue parlée le plus souvent à la maison) a reculé de 2,7% au Québec. Le nombre de francophones, la seule population qui utilise majoritairement le français dans l’espace public, est en chute libre mais cela n’affecte pas l’usage du français. Impressionnant.

En même temps, le nombre de ceux qui ne connaissent pas le français au Québec est en augmentation constante. Ainsi, les immigrants temporaires forment maintenant 6% de la population du Québec et environ le tiers d’entre eux ne connaissent pas le français. Depuis 2011, la part de la population qui ne connaît pas le français a augmenté de 52% et celle de ceux qui travaillent en anglais de 41%. La connaissance du français chez les anglophones a aussi reculé au recensement 2021, passant de 68,8% à 67,1%, soit une chute de 1,7 point (et la première chute de cet indicateur depuis des décennies).

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L’anglais

Quand on met tout ça ensemble, la résistance du français comme langue d’usage public, alors que l’on assiste à un effondrement de la proportion de francophones et à l’augmentation de la non-connaissance du français et de l’unilinguisme anglais au Québec, est absolument remarquable.

Encore plus frappant dans ce sondage est la diminution de l’usage de l’anglais comme langue publique de 2016 à 2022, usage qui est passé de 11,4% à 8,2%, soit un déclin massif de 3,2 points. La proportion d’anglophones dans la population a pourtant augmenté de 2006 à 2021 selon les données de recensement, passant de 10,6% à 11,7% (langue parlée le plus souvent à la maison). L’augmentation de la proportion d’anglophones dans la population est corrélée à une diminution de l’anglais comme langue publique. Formidable!

Trêve de plaisanteries. En général, si c’est trop beau pour être vrai... c’est que ce n’est pas vrai. Fin du rêve éveillé.

Alors que tous les indicateurs pour le français sont en recul et que l’anglais au Québec est pétant de santé, ce sondage vient fournir une donnée aberrante à un portrait qui est autrement cohérent. En science, en l’absence de données supplémentaires qui vont dans le même sens, un point discordant sur une courbe sera interprété la plupart du temps comme une erreur de mesure. Il y a tout lieu de croire que c’est le cas avec ce sondage. Sur Facebook, le démographe Guillaume Marois s’est livré à une critique de sa méthodologie (ici) en soulignant que le taux de non-réponse pour le sondage de 2016 était de 54% et qu’il atteignait 77% pour celui de 2022 (ici).

Taux de non-réponse

Ces taux de non-réponse excessivement élevés sont susceptibles d’induire un biais fort dans l’échantillon. Ceci n’est pas considéré dans la petite section traitant de méthodologie de l’étude, qui est d’ailleurs fort mince. Notons que plusieurs revues obligent à caractériser les non-répondeurs afin d’évaluer les biais potentiels d’un sondage dès que le taux de non-réponse dépasse un certain seuil variant entre 20 et 40%. Le sondage de l’OQLF n’aurait donc jamais pu être publié dans une revue scientifique avec révision par les pairs.

Ce n’est pas la première fois que l’OQLF nous fait le coup d’annoncer une fausse «stabilité» du français. La dernière fois était en 2018, sous un gouvernement libéral. L’OQLF avait alors clamé que «l’usage du français au travail [était] à peu près stable depuis près de 20 ans». Ce qui était faux, comme les données du recensement 2016, publiées un peu après, l’avaient démontré.

Bref, alors que le déclin du français est évident comme jamais dans notre histoire, l’amateurisme de l’OQLF est non seulement gênant, mais il devient franchement inacceptable. Le commissaire à la Langue française, qui est indépendant du gouvernement, devrait se pencher sur ce dossier.

Frédéric Lacroix, Chercheur indépendant, Québec

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