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L'article provient de Le Journal de Québec
Opinions

Sélection naturelle: Combattre le cancer en s’inspirant du génie de Darwin

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Photo portrait de Richard Béliveau

Richard Béliveau

2024-02-11T22:57:52Z
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Il y a aujourd’hui 215 ans, le 12 février 1809, naissait le célèbre savant anglais Charles Darwin, dont les travaux de génie sur l’évolution des espèces vivantes ont révolutionné la science moderne. Cet héritage fabuleux légué par Darwin est encore aujourd’hui d’actualité et pourrait même jouer un rôle de premier plan dans la découverte de nouvelles thérapies contre le cancer. 

Charles Darwin
Charles Darwin Photo Adobe Stock

La grande découverte de Darwin a été de remarquer que la grande diversité qui existe entre les individus d’une même espèce, surtout lorsqu’ils vivent dans un environnement distinct, était le résultat de transformations biologiques leur permettant de s’adapter à cet environnement.  

Les individus qui sont les mieux adaptés ont une plus grande probabilité de survivre plus longtemps et donc plus de chance de transmettre ces caractéristiques à leur descendance. 

Le cancer, maladie darwinienne

Grâce à cette sélection naturelle, la vie de l’ensemble des organismes, du simple virus aux animaux complexes comme les humains, est un processus très dynamique, en constante évolution depuis son apparition sur Terre.

Darwin ne le savait certainement pas lorsque ses travaux ont été publiés en 1859, mais l’évolution qu’il décrivait à l’échelle macroscopique des espèces vivantes s’applique également au niveau microscopique des cellules. 

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Lors du développement d’un cancer, par exemple, une cellule parvient à acquérir des caractéristiques génétiques qui lui procurent un avantage de croissance sur les cellules normales. 

Si ces nouvelles propriétés lui permettent d’être mieux adaptée au micro-environnement dans lequel elle se trouve, cette cellule anormale va gagner la compétition contre les cellules normales et devenir avec le temps l’espèce cellulaire dominante pour former une masse qui envahit l’organe : c’est la sélection clonale.

Les principes de sélection naturelle de Darwin sont également à l’œuvre lors du traitement du cancer. 

Une forte dose de chimiothérapie, par exemple, parvient souvent à éliminer la grande majorité des cellules cancéreuses, mais il suffit qu’une seule cellule (un clone) parvienne à acquérir une résistance au traitement pour que cette caractéristique soit transmise à ses descendantes et générer une population de cellules résistantes qui vont entraîner une récidive du cancer et le rendre résistant aux traitements futurs. 

Thérapie antitumorale

Il a été récemment proposé qu’une approche darwinienne pourrait également s’avérer valable dans le traitement de certains cancers, notamment celui de la prostate (2).  

Le principe de cette approche est qu’au lieu de tenter d’éradiquer complètement les cellules cancéreuses avec une chimiothérapie agressive, ce qui génère des cellules résistantes qui se sont adaptées au médicament, on cherche plutôt à contrôler la croissance de la tumeur, sans l’éliminer complètement, en contrôlant son exposition aux agents de chimiothérapie.  

De cette façon, les cellules cancéreuses qui acquièrent une résistance sont en compétition directe avec des cellules cancéreuses non résistantes (qui n’ont pas été éliminées par les faibles doses du traitement), ce qui limite leur croissance et prévient l’apparition de tumeurs résistantes incurables. 

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Cette résistance à la chimiothérapie conventionnelle est une des principales causes de décès en oncologie clinique.

Cette nouvelle approche révolutionnaire, appelée thérapie adaptative, a été testée dans une étude pilote réalisée auprès de 17 patients atteints d’un cancer métastatique de la prostate (1)

Les patients ont été traités avec l’abiraterone (un médicament qui diminue les taux de testostérone) jusqu’à ce que leur taux de PSA (le marqueur du cancer de la prostate) soit réduit de 50 %, indiquant une réponse partielle de la tumeur. Le traitement a alors été arrêté, ce qui a permis aux cellules cancéreuses de recommencer à croître, mais puisqu’il n’y a plus de pression sélective exercée par l’agent de chimiothérapie, la population cellulaire de la tumeur qui récidive est sans grande résistance à la chimiothérapie.  

Lorsque les taux de PSA sont redevenus élevés, on recommence le traitement pour les réduire encore une fois de 50 % et ce cycle de traitement/arrêt du traitement est répété autant de fois que nécessaire dans l’objectif d’empêcher la progression du cancer.

Les résultats de l’étude pilote sont très encourageants : comparativement au traitement standard utilisant la chimiothérapie continue, les patients traités avec l’approche adaptative ont vécu plus longtemps sans progression de leur cancer (33,5 vs 14,3 mois) et présentaient une nette amélioration de leur survie globale (58,5 vs 31,3 mois). 

Il faut aussi noter que tous les patients traités de façon standard ont vu leur cancer progresser au cours de l’étude et sont décédés, tandis que 4 patients soumis à la thérapie adaptative étaient toujours en vie lors de la publication de l’étude. 

Près de 200 ans après sa découverte, l’évolution par la sélection naturelle demeure un élément incontournable pour comprendre la vie qui nous entoure et les maladies qui nous affligent. Comme on le dit souvent, les grandes idées ne meurent jamais. 

Le génie de Darwin continue d’influencer l’évolution de l’humanité.


(1) Gatenby RA et coll. Adaptive therapy. Cancer Res. 2009 ; 69 : 4894-903.
(2) Zhang J et coll. Evolution-based mathematical models significantly prolong response to abiraterone in metastatic castrate-resistant prostate cancer and identify strategies to further improve outcomes. Elife 2022;11:e76284.

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