Romans d’ici: se laisser impressionner
Josée Boileau
Il impressionne, le grand professeur Karlheinz Mueller-Stahl ! Mais tout ce qui brille n’est pas or.
Dans l’œuvre prolifique de Catherine Mavrikakis, où romans et essais se succèdent depuis vingt ans, Impromptu apparaît comme un texte représentatif de son titre : une « petite pièce composée sur-le-champ », comme le définit Le Petit Robert.
Le roman tient en effet sur 72 pages et découle d’une commande passée par une maison d’édition française, qui l’a publié l’automne dernier. Héliotrope le reprend ici, comme une surprise dans le parcours de l’écrivaine.
La commande imposait un thème : l’Europe. Mavrikakis a choisi de retourner la proposition en parlant de l’Europe telle qu’elle se vivait à Montréal dans les années 1980. Un détournement brillant.
L’ouvrage met en scène Caroline Akerman-Marchand, étudiante en littérature à l’Université de Montréal. Par un chaud après-midi de juillet 1984, elle croise un homme au guichet automatique d’une banque du quartier. Il est maladroit (Mavrikakis ne le souligne pas, mais ces appareils étaient de toute récente apparition alors au Québec) et accepte son aide, non sans hauteur.
Catherine, elle, l’a reconnu : il s’agit de son vénérable professeur Karlheinz Mueller-Stahl. Et il a beau l’étourdir de commentaires pas très agréables, son statut l’impressionne. Comme il lui dit, il est « très vieille Allemagne » et ça fait son effet.
Elle finit par lui prêter quelques dollars – qu’évidemment le professeur oubliera de remettre à l’étudiante désargentée.
Passé révolu
Elle le retrouve comme enseignant à la rentrée et c’est là qu’elle succombera véritablement à sa maestria intellectuelle. Elle se joint donc à la quinzaine d’étudiants qui boivent les paroles et font les courses de celui qu’ils appellent leur maître à penser.
Et tant pis si le prof est chiche en argent et en compliments, l’important c’est qu’il représente les sources du Savoir. Et avec lui on peut fréquenter les commerces et restaurants qui, à Montréal, offrent un ersatz d’Europe puisque ce n’est qu’en surface que Mueller-Stahl vit ici.
Celles et ceux qui ont fréquenté les milieux universitaires de cette époque reconnaîtront l’atmosphère que Mavrikakis a su épingler. En même temps, on constate que cela relève d’un passé révolu, ne serait-ce que parce que bien des endroits mentionnés ont disparu.
Surtout, autant d’adulation d’un professeur imbu de lui-même, particulièrement de la part de jeunes filles, suscite la suspicion aujourd’hui – même si Mueller-Stahl tient davantage du gourou que du prédateur sexuel.
On s’étonne d’ailleurs que Caroline, devenue professeure à son tour et désormais au courant des limites du maître, n’arrive pas à se détacher de son influence. L’attrait de la Vieille Europe rendait décidément bien aveugle. Il menait aussi au rejet de soi, comme le prouve encore Caroline qui choisit d’enseigner en Australie parce que le Québec, à ses yeux, végétait...
Mais au fond, tout cela n’a-t-il pas un pendant contemporain ? L’Europe est aujourd’hui si entichée du mythe américain qu’elle ne sait plus communiquer qu’en anglais, gommant son riche passé qui, dans Impromptu, faisait au contraire rêver. À chaque époque son ironie !