«Se faire critiquer, c'est une chose, mais quand tu ne peux plus gagner ta vie, c'est autre chose»: Guillaume Lemay-Thivierge parle de sa dépression et de son processus de guérison
Michèle Lemieux
Après les événements que l’on connaît, Guillaume Lemay-Thivierge a été happé par un tsunami si percutant qu’il a sombré dans la dépression. En processus de reconstruction, il a entrepris un profond travail sur lui-même pour revenir à l’essentiel et devenir un meilleur être humain. À travers cette épreuve, il a pu compter sur son amoureuse, Émily Bégin, sa famille et sa belle-famille, un soutien qui l’a littéralement raccroché à la vie, a-t-il raconté en entrevue avec le magazine 7 Jours.
• À lire aussi: David La Haye, Jean-Marie Lapointe, Charlie Lemay-Thivierge et Mahée Paiement se joignent à «Alertes» cet hiver
Guillaume, tout d’abord, merci de ta confiance. Comment vas-tu?
Je vais bien, et je suis très heureux d’être ici. Je vais de mieux en mieux. Je remonte la pente tranquillement. Je sors d’une des plus grandes épreuves que j’aurai eu à traverser, si j’exclus la perte d’êtres chers.
Parce que tu as vécu un grand rejet?
Oui, et le rejet fait jaillir quelque chose à l’intérieur de nous qu’on ne peut pas soupçonner tant qu’on ne le vit pas. Quand on le ressent, on se remet en question comme être humain, et non plus par rapport à sa carrière. Quand on a été rejeté pour des raisons qui ont existé — qu’on jugera bonnes ou non, ce n’est pas la question –, on se sent mis de côté et on se questionne. Qui suis-je à travers tout ça? Qu’est-ce que je vaux? Comment vais-je me relever?
Il t’a fallu retrouver ta valeur en tant qu’être humain?
Oui, ma valeur comme amoureux, comme père de famille, comme ami, comme frère. Il fallait que j’arrête de m’identifier à mon travail. Il fallait que je découvre qui je suis. Je me suis agrippé à ça comme à une bouée. Je n’ai pas été rejeté par mes enfants, ma femme et mes amis très proches, mais j’ai été rejeté par plein d’autres personnes. Il fallait que je me raccroche à l’essentiel. Mes enfants m’ont littéralement sauvé la vie.
Ils ont été derrière toi et t’ont soutenu?
En fait, ils ont été les enfants qu’ils doivent être. Un père est là pour rassurer ses enfants dans la tempête, et je l’ai fait. Il fallait qu’on passe des moments agréables ensemble, que je puisse continuer à être rassurant, malgré le fait qu’un de mes enfants, par exemple, me disait qu’il s’était fait écœurer à l’école, qu’on lui avait dit que son père avait fait ci ou perdu ça. Il fallait que je puisse l’écouter, lui demander comment il se sentait. Je devais réussir à l’accueillir comme un père, même si j’étais la cause de tout ça. Il fallait que je reste fort pour mes enfants et pour ma femme. Mais seul avec moi-même, je me mettais à trembler. J’avais à peine l’énergie de passer à travers mes journées...
As-tu ressenti une certaine culpabilité de savoir que tes enfants se faisaient narguer à l’école?
Oui, parce j’avais imposé ça à ma famille sans le vouloir: mes beaux-parents, mes beaux-frères, mes belles-sœurs, mes cousins et cousines... Ça a eu un impact extrêmement large. J’ai ressenti de la culpabilité parce que je suis responsable de ce qui s’est passé. Je suis le cœur de ce chaos. Mon entourage et mes collègues n’ont pas choisi de traverser cette tempête. J’étais devenu une source de problèmes dans leur vie. J’en suis conscient et je l’assume pleinement.
As-tu le sentiment que c’est cher payé?
Je suis la personne la moins bien placée pour en juger. Je pourrai le faire avec du recul. Je peux te dire en toute honnêteté que j’ai trouvé ça très difficile. Et je ne blâme personne. Il y a eu un effet d’entraînement extrêmement puissant. Même les commentaires qui n’étaient pas si méchants s’ajoutaient aux autres. La tempête n’était plus arrêtable. Il y a des drames pires que ce que j’ai vécu, j’en suis conscient, mais je peux affirmer que j’en ai arraché. Se faire critiquer ou violenter verbalement, c’est une chose, mais quand tu ne peux plus gagner ta vie, c’est autre chose.
C’est quand même une grave conséquence.
La conséquence est extrêmement grave sur le plan humain et financier pour le père de famille que je suis. Je n’avais plus la possibilité de gagner ma vie. Je ne pouvais plus jouer, réaliser, ni même avoir accès à des plateaux de tournage, ne serait-ce que pour aller voir des amis. C’est sous les conseils de mon psychologue et de mon neuropsychologue que j’ai voulu retourner dans mon milieu de travail sans travailler. Comme processus de guérison, on me suggérait de m’approcher de cet univers, parce que j’ai vécu un traumatisme. Je n’avais pas à perdre le lien avec les humains avec qui je m’entendais bien. Mais ça m’a été refusé.
Alors que les plateaux, c’est ton univers depuis que tu as six ans...
C’est ma vie au complet. Rendu à ce stade, je suis tombé en dépression majeure. J’ai perdu goût à la vie. Je me suis retrouvé avec des problèmes d’angoisse, d’anxiété, de sommeil, de motivation... Je parle ici de la motivation nécessaire pour réussir à faire mes journées. J’allais reconduire mes enfants à l’école avec un beau sourire, je revenais à la maison, je me couchais en petite boule sur le plancher et j’essayais juste de respirer pour ne pas tomber en état de panique. Ç’a longtemps été mon quotidien. Je me suis demandé si ma vie était finie. Je me disais que si mes enfants et ma femme n’étaient pas là, je pourrais arrêter de vivre...
Ce sont tes proches qui t’ont gardé vivant?
Oui, c’est ce qui m’a gardé vivant, avec mon frère, mes nièces et neveux, mes amis. Ils m’ont sauvé la vie, parce qu’à peu près tout le monde avait disparu du décor. Ce n’était pas par méchanceté, mais par peur. La tempête était tellement grosse. Ma famille de l’école de parachute a aussi contribué à me garder vivant. Je n’avais plus le goût de rien, pas même de sauter en parachute, l’une des choses que j’aime le plus. C’est comme si c’était mort à l’intérieur de moi. J’étais dans un néant total. Je ne savais plus où j’en étais. Je ne savais plus comment traverser mes journées. Puis, je me suis mis à apprendre toutes sortes de choses sur l’être humain.

Qu’as-tu mis en pratique?
La respiration, la reprogrammation du cerveau, les bains d’eau froide. L’amalgame de tout ça m’a donné un petit espoir. J’ai compris que j’allais survivre. Je me suis intéressé à plein de choses pour être mieux, pour que mon cerveau arrête de rejouer toujours la même histoire, pour arrêter d’avoir des regrets. On me disait que j’étais dans l’obligation de prendre soin de moi. Mais prendre soin de soi dans notre société, ce n’est pas reconnu. Comment on fait ça? En réalité, j’ai connu deux épisodes de dépression. Je pensais que j’allais mieux, mais j’ai replongé, et encore plus profondément.
Qu’est-ce qui t’a fait replonger?
Je ne veux pas m’autodiagnostiquer, mais il y a des cas de bipolarité et de dépression dans ma famille. Est-ce que c’est quelque chose qui pourrait exister en moi? Peut-être. Je pense que je n’avais pas pris le temps de me soigner correctement. J’avais hâte de recevoir une approbation extérieure. Quand j’ai tourné la pub de Meubles RD, je me suis dit qu’il y avait des gens qui voulaient encore de moi. Ça m’a donné espoir. Puis, quand Radio-Canada a refusé la pub, c’est comme si on m’avait dit que ça ne serait pas possible. J’ai vécu une perte de confiance, et cette deuxième phase a été pire que la première. J’ai compris qu’il fallait que l’approbation vienne de moi, et uniquement de moi. Il fallait que je reconnaisse ma valeur, peu importe ce que les gens allaient penser, et ça, peut-être pour le reste de mes jours.
Comment as-tu réussi à reprendre goût à la vie?
Tranquillement, étape par étape. Il y a des gens qui m’ont fait confiance pour recommencer à donner des conférences. Je parle de mes difficultés, de mes mauvais coups. Je n’ai aucun problème avec l’autodérision. Même si ma vie et ma carrière ont été très belles, j’ai compris que ma valeur n’a rien à voir avec ce que je fais. Ma vraie valeur, c’est que je suis un bon gars, respectueux des autres, un bon père de famille, un homme loyal. C’est tout. Le reste, c’est du surplus. Mon travail, actuellement, c’est de sauter en parachute. Je prends soin d’une personne à la fois. Comme j’ai pris soin d’un de mes enfants à la fois. Ça m’a rapproché d’eux. Je me suis rendu compte que le fait de ne pas travailler me permettait de passer du temps avec eux, du temps que je n’aurais jamais pu rattraper.
Tu as donc trouvé le moyen de tirer parti de cette période?
De tirer une leçon, en fait. Il y a un ami qui me disait dans mes périodes les plus difficiles: «Porte attention à ce qui t’arrive aujourd’hui.» Partager sera probablement la suite de ma vie. Parce que si tu ne partages pas, à quoi auras-tu servi? Je n’en suis pas encore arrivé à dire que ce qui m’est arrivé est un cadeau mal emballé, mais peut-être qu’éventuellement, je le pourrai.
L’épreuve t’aurait-elle forcé à devenir meilleur à tous les égards?
Oui, à devenir la meilleure version de moi-même. Le jour où je vais me retrouver sur un plateau de tournage parce que quelqu’un m’aura fait confiance, je vais le savourer d’une façon incroyable.
Guillaume, je n’ose même pas imaginer ce que la tempête a pu créer au sein de ton couple...
C’est terrible ce que ça crée dans un couple. Parce que tu deviens la source du problème, alors que tu as toujours été source de joie. Tu te demandes si tu vas réussir à retrouver la joie qui va permettre à ton amoureuse de recommencer à t’aimer, à t’admirer, à avoir envie d’être à tes côtés. Sur le plan intime, tout s’effondre. Le désir s’effondre. Le plaisir d’être avec l’autre s’effondre. Tomber en dépression, c’est lourd pour l’autre aussi. Émily a pris ma défense dans l’intimité, mais elle ne pouvait pas le faire publiquement, sinon elle serait passée dans le tordeur elle aussi. Elle subissait quelque chose qu’elle n’avait pas choisi. C’était traumatisant. Qu’elle soit restée, c’est un très beau cadeau de la vie. Et moi aussi, je suis resté. J’aurais pu quitter beaucoup de choses... Je serai toujours reconnaissant à Émily d’avoir eu la force et le courage d’être là, patiente, aimante, compréhensive. J’ai découvert sa force et celle de sa famille, qui a été tellement présente et aimante.
En terminant, parle-nous de ton lien avec le public.
Le public fait aussi partie de ceux qui m’ont sauvé la vie. À l’épicerie, sur la rue, les gens se sont arrêtés pour me parler, pour m’encourager. On se connaît depuis très longtemps. Je fais partie de leur famille. Des gens disaient m’avoir adopté et ne pas vouloir que je parte. Certains m’ont pris la main, d’autres m’ont fait des câlins. Le lien n’a jamais été brisé. D’autres n’ont peut-être pas accepté ce qui s’est passé, et ils ont le droit, mais je remercie du plus profond de mon cœur ceux qui ont été présents. Ils ne savent pas à quel point ç’a été précieux pour moi. Ils me disaient qu’ils s’ennuyaient de moi et m’invitaient à ne pas lâcher. Ils m’ont donné une force incroyable. J’ai fait une erreur. Je reconnais que j’ai blessé des gens et je m’en excuse. Si on refuse mes excuses, c’est qu’on veut que la guerre se perpétue. Moi, je suis pour la paix. J’aimerais travailler à nouveau dans mon industrie, avec mes camarades. J’ai appris sur moi. J’ai vu mes failles, mes défauts, mes travers. Je les ai compris, comme mon père qui un jour est entré à la Maison Jean-Lapointe, car il était un joueur compulsif.
Qu’aimerais-tu pour la suite des choses?
J’aime être devant et derrière la caméra, rire, faire rire et rêver, raconter des histoires. Tout cela se retrouvera sûrement sur une plateforme que je voudrais mettre en place. Je veux faire de la pub, être à nouveau porte-parole. Je suis ouvert aux propositions. Je veux poursuivre mon travail, mais je n’en suis plus à quémander, j’en suis à vivre, à savourer...
On s’informe sur la conférence Rester debout et demeurer authentique au groupeperformance.net.