Le fil du vivant: savoir se perdre
Josée Boileau
Comment renouer le fil quand on est dépassés par des éléments extérieurs à soi ? En un roman foisonnant, Elsa Pépin trace un magnifique chemin.
Crise climatique, maternité, trips de drogue peuvent-ils avoir un lien en commun ? Oui, celui de la dépossession comme de la résistance.
Encore faut-il accepter de laisser aller, de s’adapter, ce qui est non seulement le propos, mais aussi la structure du plus récent roman d’Elsa Pépin, Le fil du vivant.
Il y a au départ quelque chose d’étonnant d’entrer dans ce livre par une scène familière, apaisante. Une femme allaite son enfant en plein cœur de la nuit tout en luttant contre le sommeil. C’est dur pour elle, mais le bébé est la figure même de l’innocence qui séduit.
La pensée de Iona s’évade pendant qu’elle allaite. Et on se retrouve dans un tout autre univers, celui d’une femme dont la vie d’autrefois oscillait entre sa discipline implacable de pianiste et de ballerine et ses nuits de défonce auprès d’un ensorcelant amoureux. Pas d’innocence ici.
On a en fait le sentiment que Iona est toujours à la merci soit des désirs des autres, soit des contraintes que son art impose. Vas, l’amant fougueux de sa jeunesse, toujours en quête d’évasion, n’est-il pas aussi exigeant que le bébé dépendant de sa mère ?
Une histoire de survie
En toile de fond de ces scènes qui s’emmêlent, il pleut. Sans arrêt et abondamment. Au point où Niels, le conjoint de Iona, la pousse à quitter Montréal avec leurs deux enfants pour trouver refuge dans les bois, dans le confortable manoir familial, avec la famille de sa sœur.
Iona se laisse convaincre. Sa meilleure amie et l’adolescent de celle-ci se joignent à eux.
Se déploie alors une fascinante histoire de survie. Car Niels a eu raison : comme bien d’autres villes, Montréal est inondée et les gens ne savent plus où fuir. Lui, au contraire, a tout prévu.
Sauf que la pluie persiste et les réserves baissent dangereusement. Niels ne cesse de revoir sa planification, alors que Iona observe la nature qui se transforme et ses enfants qui, sans a priori, se conforment à la nouvelle donne. Et elle prend son destin en main.
Deux camps se forment : Niels et la famille de sa sœur, qui veulent maintenir à tout prix leur vie d’avant le déluge, contre Iona, son amie Manu et leurs enfants, prêts à manger des insectes et à contenir la peur.
Tout cela donne un récit déroutant et saisissant, qui ramène le lecteur aux défis personnels qu’il croise et aux grands drames des temps actuels. S’en sortir est donc possible...
Ce roman vaut aussi pour les fulgurantes images dont il regorge. Les pleurs d’enfant dans la nuit « forment un seul et même tissu ample et indistinct ». La forêt devient une éponge, Montréal un objet de désir, et la scène où Iona dépose son bébé repu dans son lit tient de la chorégraphie.
Tout vit, tout palpite, malgré les catastrophes.