Sans filtre, Jocelyne Cazin aborde sa dépendance à l’alcool

Érick Rémy
Nous nous étions donné rendez-vous après sa ronde de golf au Club Islesmere, à Sainte-Dorothée, où elle est membre. Assis à une petite table au fond de la salle à manger, à l’abri des oreilles indiscrètes, je me suis inspiré ici et là de Ma véritable identité, son autobiographie choc publiée en pleine pandémie. Ses réponses à mes questions ont démontré que la célèbre ex-journaliste d’enquête n’a toujours pas froid aux yeux. Attention, oreilles sensibles s’abstenir: voici la vraie Jocelyne Cazin!
«Il y a plusieurs années, j’avais écrit un texte pour le magazine Châtelaine. Il avait pour titre: Le golf est-il meilleur que le sexe?. (rires) Si j’étais patronne, avant d’embaucher quelqu’un, je l’inviterais à jouer au golf. Cela révèle l’honnêteté, le sens de l’humour, la rigueur et la résilience d’une personne. Le golf fait ressortir le véritable caractère de l’être humain. D’ailleurs, l’éthique qu’il y avait jadis dans ce sport s’est beaucoup détériorée. Notre société est très individualiste, et cela se reflète sur les terrains», dit celle qui joue trois rondes de golf par semaine et tout autant l’hiver, lorsqu’elle est en Floride. Puisqu’au golf on utilise le mot «handicap » pour mesurer les habiletés d’un joueur face à un autre, j’ai voulu savoir si, selon elle, on devrait s’accepter tel qu’on est ou toujours viser à s’améliorer? «Je veux toujours m’améliorer. Comme je le dis dans mes conférences: je suis née pour évoluer et je suis l’expression parfaite de l’imperfection. Je sais qui je suis et je m’aime quand même», répond-elle.
Le grand ménage
Dans Ma véritable identité, elle aborde ses relations familiales conflictuelles, ses relations amoureuses nombreuses et tumultueuses, sa vie sexuelle intense, son homosexualité ambivalente, sa peur de la solitude et celle tomber dans l’oubli. Tous des comportements qui supposent une certaine dépendance. «Je suis en train de me défaire de ma dépendance aux autres. J’ai eu besoin d’être entourée, mais moins maintenant. Je suis capable d’être seule chez moi, pendant quelques jours, sans avoir besoin d’appeler quelqu’un pour aller souper, mais ça n’a pas toujours été ainsi.
Contrairement à mon chien, Charlie, je ne suis pas dépendante affective. (rires) En amour, j’ai plus souvent laissé qu’on m’a laissée. À ce moment-ci de ma vie, j’aimerais avoir une relation avec quelqu’un pour partager des plaisirs: le golf, les voyages et faire l’amour de temps en temps — je suis encore en forme —, mais je ne vivrais pas avec quelqu’un au quotidien. Donc, je ne suis pas si dépendante que ça», lance-t-elle, comme pour se convaincre elle-même. Géante aux pieds d’argile Dans sa biographie, elle avoue que sa consommation d’alcool a été à ce point problématique qu’elle a dû faire appel un jour à Alcooliques anonymes pour s’en sortir, à la suggestion d’une amie. En 1977, elle avait même fait un séjour dans un centre de désintoxication situé à Ivrysur- le-Lac. Son intervenante, Monique, avait écrit la phrase suivante en parlant d’elle: «J’ai un monstre en moi qui me tue, qui me ronge. Sortez-le de moi pour que je vienne au monde.» Après six ans d’abstinence, durant un voyage avec sa mère, Jocelyne avait tout bonnement pris une margarita, ce qui avait ouvert à nouveau la porte à la consommation d’alcool. «Je n’ai jamais pris un verre en me levant ou dans la journée ni manqué une journée de travail à cause de ma consommation. Par contre, je buvais tous les soirs. Je n’avais pas le vin triste ni agressif, mais amusant. Je n’ai pas toujours bu de façon éhontée, mais parfois je l’échappais. Il m’est arrivé trop souvent de conduire en état d’ébriété et d’être un danger public. Le lendemain, en me réveillant, je me disais que cela n’avait aucun sens que Jocelyne Cazin ait fait ça. Je considère que je vis sur du temps emprunté», confie-t-elle.

Soudainement, j’ai senti l’obligation de lui demander pourquoi, avec une telle feuille de route, elle hésitait à s’identifier en tant qu’alcoolique. Elle fait une longue pause avant de répondre. «Je suis une alcoolique fonctionnelle. La dernière fois que j’ai pris un verre, le 22 septembre 2023, mes deux amis et moi avions bu trois bouteilles de vin durant la soirée. Ils sont partis et, vers 22 h 30, j’ai fait un black-out. Quand je me suis réveillée, à 3 h du matin, je ressentais une atroce douleur dans le bas du dos; j’avais dû tomber, mais je ne m’en souvenais pas. Après avoir passé une nuit d’enfer, j’ai appelé le 911 à 7 h. J’ai été hospitalisée durant plus d’un mois à l’hôpital Marie-Clarac, où j’ai reçu d’excellents soins. Je m’étais fracturé deux vertèbres lombaires. Il s’en est fallu de peu pour que cela touche ma moelle épinière. J’aurais pu rester paralysée. Ç’a été mon wake-up call. Un réveil brutal.»
La vérité toute crue, toute nue
On pourrait évoquer la maxime latine In vino veritas, qui signifie qu’on finit par révéler sa vraie nature en consommant beaucoup de vin... Mais cela ne nous aide pas pour autant à trouver notre vérité. Toutefois, le jour où la vérité se pointe et qu’on doit y faire face, elle n’est pas toujours facile à accepter. En revanche, celle-ci peut être salvatrice. «Il m’arrive parfois d’avoir des flash-back, et je ne suis pas fière de moi. Est-ce que j’ai fait la paix avec mon passé? Oui! Si je veux vivre sereinement jusqu’à la fin de mes jours et évoluer, je dois me pardonner mes erreurs. Je suis d’avis qu’on ne change pas. Je dis qu’avec la conscience et la connaissance de soi, on s’améliore ou on se détériore. J’ai choisi de m’améliorer. Et malgré tout l’alcool que j’ai bu durant ma vie, je ne suis pas si déséquilibrée que ça», explique-t-elle en éclatant de rire.
Toute médaille a son revers, et celle de son abstinence est reluisante. «Avant, je me réveillais deux à trois fois par nuit, car je faisais de l’angoisse. J’avais des chaleurs épouvantables. Maintenant, je dors beaucoup mieux et je me réveille en forme. J’ai la tête libre. Ma concentration et ma mémoire sont meilleures. Si je n’ai jamais vraiment adhéré au mode de vie proposé par les AA, en revanche, j’ai trouvé le programme Ensobre ta vie, fondé par Nathalie Lesage. Inspiré d’un modèle américain, il s’adresse aux femmes. C’est un groupe de discussions virtuelles, pas en direct. Chaque mois, un groupe de femmes se forme. Elles s’entraident afin de rester sobres. Certaines choisissent de ne pas boire certains jours de la semaine, d’autres, comme moi, de ne pas boire du tout. On y exprime nos émotions et nos états d’âme. Alors qu’avant, lorsque je buvais, j’étais à fleur de peau, maintenant, je suis plus solide. J’ai eu quelques tentations, mais j’ai résisté.»
L’amour au masculin ou au féminin?
Dans l’un des passages de sa biographie, Ma véritable identité, Jocelyne Cazin parle de son orientation sexuelle en ces mots: «J’ai vécu une homosexualité pendant plus de vingt ans en essayant de la dissimuler, de la contourner, de la refuser. Voilà, c’est dit.» Vous remarquez qu’elle a écrit «une» homosexualité et non «mon» homosexualité. Pourquoi fait-elle cette distinction? «Parce que je ne m’identifie pas en tant qu’homosexuelle. Comme l’avait si bien dit Clémence (DesRochers): “Je suis Clémence, et c’est tout.” On peut dire que je suis bisexuelle, car je n’ai aucun problème à vivre des deux côtés du spectre amoureux. J’ai vécu des relations autant avec des hommes qu’avec des femmes. D’ailleurs, je préférerais finir ma vie aux côtés d’un homme plutôt que d’une femme. C’est bien connu, les hommes viennent de Mars et les femmes, de Vénus. (rires) Ce qui est pareil, c’est l’amour. Aimer, c’est aimer.»
S’extirper de la noirceur
Jocelyne Cazin, qui a l’oeil pétillant, la répartie vive et un physique avantageux pour son âge, vit malgré tout avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Bien avant que son célèbre et défunt collègue de J.E., Gaétan Girouard, ne passe à l’acte le 14 janvier 1999, Jocelyne avait parfois des instincts suicidaires. «Durant ma jeunesse, j’ai fait une tentative de suicide. J’ai souvent eu peur de vivre ma vie, mais j’ai surtout eu peur du rejet. (Elle fait une longue pause.) Je suis encore fragile. Je l’envisagerais si un jour j’étais gravement malade, que j’avais toute ma tête, et qu’on me refusait l’aide médicale à mourir. Le suicide n’est pas un geste de courage, mais plutôt de désespoir. Ce n’est ni un choix ni une option. J’ai beaucoup lu sur le sujet et je donne des conférences sur la prévention du suicide. Dans la littérature, on décrit ce qui mène au suicide comme un tison qui brûle au niveau de la cage thoracique. Ça fait tellement mal qu’on n’est plus capable de l’endurer. Tu ne veux pas mourir, tu veux juste arrêter de souffrir. Mais rassurez-vous, j’ai plus un pied dans la vie que dans la mort.»
À deux, c’est mieux
Vivant seule avec son petit chien, tout en ne fermant pas la porte à l’amour, Jocelyne Cazin décrit sa solitude. «Parfois, j’ai l’impression de quêter du temps à mes amis pour partager des moments avec eux. J’aime partager. J’aime faire à manger. J’aime préparer et planifier des choses. Quand je n’ai pas ça, c’est là que je vis de la solitude. Ma grande hantise, c’est de me sentir inutile. C’est là que mon instinct suicidaire peut me faire de l’oeil.»
L’une des citations qu’elle affectionne particulièrement, qu’elle cite d’ailleurs dans son autobiographie même si elle n’en connaît pas l’origine, est: «Il n’y a qu’un seul péché, ne pas s’aimer.» J’ai donc voulu savoir si elle s’aimait... «Lorsque Charlie me fait sourire, que je prends soin de mes fleurs et de mon potager sur mon balcon, que je suis heureuse de me faire à manger et que je ne sens pas l’ennui, cela signifie que je commence à m’aimer. Je crois fermement, tel que l’écrit le sociologue et philosophe français Frédéric Lenoir, que le bonheur part de l’intérieur vers l’extérieur. Cela veut dire que je n’ai pas besoin des autres pour être heureuse. C’est de plus en plus une victoire sur moi-même.»
Ma véritable identité, paru chez Libre Expression, est disponible en librairie de même que son roman policier, Pire que l’éternité, paru chez Flammarion Québec. Son prochain polar, Funestes récoltes, paraîtra en septembre 2024.