S’il n’y a pas de vraie enquête sur la SAAQ, c’est qu’on est vraiment au pays du «no-fault»


Antoine Robitaille
Je suis conscient qu’on ne peut plus vraiment prononcer le terme «commission d’enquête» sans susciter des froncements de sourcils. Après Gomery et Charbonneau, l’exercice semble discrédité.
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N’empêche, ça en prendrait une pour aller au fond du fiasco informatique à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).
Jamais vu
«Ce n’est pas banal, là! s’exclamait François Bonnardel, jeudi, en chambre. Ça fait presque 20 ans que je suis à l’Assemblée nationale, je n’ai jamais vu [ça].»
L’ancien ministre des Transports soulignait ceci: la vérificatrice générale, dans son rapport déposé jeudi, révèle que des informations présentées aux dirigeants et aux élus sur le projet d’informatisation CASA (dont SAAQclic) étaient erronées ou contradictoires. Tout le monde aurait «été berné»!
Il y a eu tromperie, indéniablement. Cela a conduit à des dérapages informatiques multiples. Explosion des coûts (500 millions $ au moins) et erreurs terribles pour les assurés: paiements non enregistrés, voitures saisies, etc. Autre problème grave (dont on parle moins): la SAAQ semble incapable de faire sa conciliation bancaire, de déposer des états financiers vérifiés.
Avertissements
Nos élus peuvent-ils vraiment nous convaincre qu’ils n’ont rien su, rien entendu?
Il y eut certains avertissements, quand même. En avril 2018, notre Bureau d’enquête révélait qu’à l’interne, plusieurs sources s’inquiétaient du projet CASA. Notre collègue Pierre-Paul Biron signait un article au titre prophétique: Risques de dérapage informatique à la SAAQ.
Une des sources d’inquiétude? Que Karl Malenfant, à l’époque «vice-président aux technologies de l’information de la SAAQ», soit responsable de CASA. Car ce v.-p. avait déjà piloté un projet semblable chez Hydro-Québec, qui s’était soldé par des dépassements de coûts frôlant les 50% et un recours collectif. «Scénario que craignent de revivre nos sources à la SAAQ», écrivait Biron.
Les libéraux actuels, Monsef Derraji au premier chef, ont raison de se demander si les ministres de la CAQ auraient pu percevoir des problèmes, notamment sur certains dépassements de coûts qui ont été acceptés en 2022. Derraji fait bien de souligner que l’Autorité des marchés publics (AMP) a les pouvoirs nécessaires pour prendre l’initiative d’une enquête. L’UPAC aussi d’ailleurs.
En 2018, en réaction à la publication du texte du collègue Biron, notons toutefois que le ministre libéral André Fortin avait affirmé qu’«il faudra suivre de très près l’évolution dans ce dossier-là, mais ça se passe plutôt bien jusqu’à présent»!
Questions
Sept ans et de gravissimes dérapages plus tard, une enquête est nécessaire. De l’AMP, de l’UPAC ou de quelque autre commission. Tant de questions s’imposent: nos élus furent-ils totalement trompés? Ou en partie insouciants? Des firmes ont-elles corrompu des fonctionnaires? Comment les principaux responsables de ce fiasco ont-ils pu recevoir... des promotions, comme nous l’apprend le collègue Nicolas Lachance?
Si jamais le gouvernement Legault choisissait de se contenter du rapport de la vérificatrice générale, il donnerait raison à notre ancien collègue Michel Hébert: on vit vraiment au pays du «no-fault».