Romans d’ici: prisonnière de la crise du logement
Josée Boileau
Il suffirait de peu pour que Peuple de verre passe de la fiction au documentaire tant la crise du logement, qui en est le pilier, a pris de l’ampleur !
La difficulté à se loger existait déjà quand Catherine Leroux a eu l’idée de son nouveau roman ; d’ailleurs, elle y raconte qu’elle a dû elle-même déménager sans l’avoir vu venir, et que ce fut un basculement.
De là s’est élaboré Peuple de verre. La société qu’elle a inventée a trouvé un nouveau nom pour les sans-abri ; elle les appelle des « inlogés ». Et les autorités ont une solution pour les sortir de la rue : les amener manu militari dans des institutions appelées HAPPI – pour Habitation atelier pour personnes inlogées.
Une ironie qui fait largement sourire, jusqu’à ce que l’on se rappelle que cette manière de renommer la misère existe déjà dans la vraie vie !
Un HAPPI n’est pas une prison, mais il est dans les faits impossible d’en sortir. Comme les asiles psychiatriques d’autrefois ou les CHSLD et RPA au temps de la COVID.
Tout cela nous trouble énormément parce que l’état du monde que décrit Leroux devait d’abord relever de la dystopie. Mais le véritable problème de l’itinérance a tellement gonflé pendant l’écriture du roman que la proposition radicale qui y est décrite semble tout à coup à portée de réalisation. On frémit.
On a d’autant plus le sentiment de la possibilité du pire que Sidonie, la narratrice de Peuple de verre, est journaliste... qui couvre la crise du logement, se promenant dans les campements qui poussent dans la ville.
Sauf qu’elle aussi finira à la rue, en raison de problèmes professionnels et d’une séparation – ce qui est devenu plausible dans la réalité.
Sidonie sera donc placée dans une HAPPI, aux côtés de femmes qui, comme elle, étaient jusque-là insérées dans la société. Une fois institutionnalisées, ces femmes sont surveillées, contrôlées, astreintes à des tâches absurdes. L’autrice décrit de manière implacable leur quotidien, où des enfants viendront bientôt les rejoindre. Les hommes ont leurs propres quartiers.
Jusqu’où aller ?
Leroux fait voir à quel point ce système repose sur les apparences. Les autorités veulent faire croire que désormais, on prend soin des gens. L’autrice a recours à plusieurs stratagèmes d’écriture pour dévoiler les illusions sur lesquelles cette idéologie repose et les manœuvres, joliment menées par les enfants, pour s’en sortir.
Elle pousse même l’exercice plus loin, et c’est l’autre ligne de force de ce roman : au fond, qu’est-ce que la vérité ? Jusqu’où un reportage ou encore un témoignage peuvent-ils en rendre compte ? Ne faut-il pas forcer la note pour qu’un auditoire prenne conscience des drames qui se jouent ?
Où est la ligne à ne pas franchir ? se demande donc Sidonie. Collectivement, se pose-t-on même la question ? Ce très fort roman nous oblige à nous y arrêter.