Romans d’ici: pour se remettre en route!
Josée Boileau
Il faut un ton pour raconter une dépression : que les larmes y soient sans que le lecteur s’y noie. Et Karine Glorieux l’a trouvé !
Déjà, le prologue nous lance sur une drôle de piste. Une Québécoise se fait arrêter sur une autoroute américaine au volant d’une voiture qui n’est pas la sienne, aux côtés d’une vieille femme qu’elle ne connaît pas vraiment.
À côté de la track, dit le titre du roman ? En effet ! Emmanuelle, la narratrice, le reconnaît : il y a tout un chemin qui l’a plongée dans une telle situation, et il n’est pas banal.
Pourtant, Karine Glorieux met en scène l’un des grands problèmes de santé de notre époque : la dépression. Mais il reste encore si difficile à assumer que son héroïne lui préfère le mot burnout.
Dans ce cas, comme dit Manu, ça prouve que tu es travaillant, alors que dépression est synonyme de faiblesse. Et ça, c’est inadmissible. Surtout pour quelqu’un qui n’a que 36 ans, deux formidables enfants, de solides amies, un emploi agréable et qui n’a rien de routinier. Bref, une vie de privilégiée.
Alors pourquoi un beau jour se retrouve-t-elle sans goût, sans désir, sans envie ? Et transformée en un déversoir de larmes, chez elle comme dans les lieux publics ?
Ce pourrait être dramatique, mais l’autrice arrive à nous mettre sans lourdeur dans la peau de cette femme qui ne se reconnaît plus, parce qu’elle lui donne la distance pour se regarder aller. Son Emmanuelle raconte son désarroi avec une ironie savoureuse.
Vouloir foutre sa vie en l’air
Jamais la drôlerie des dialogues, des pensées et des situations ne vient toutefois occulter la douleur vécue : on a parfaitement conscience que l’héroïne va mal. Cela témoigne de la maîtrise d’une romancière d’expérience comme l’est Karine Glorieux.
Elle fait même preuve de pédagogie dans les dialogues entre Emmanuelle et son médecin. Il lui prescrit des antidépresseurs dont elle ne veut absolument pas. Ses explications à lui sont aussi claires que ses résistances à elle sont fortes. Une belle occasion de faire comprendre qu’une dépression doit être prise au sérieux.
Entre-temps, Emmanuelle devra combattre l’incompréhension de son ex et de sa patronne ; les conseils de ses parents et de ses amies ; ses impulsions qui lui donnent envie de revivre son adolescence puis carrément foutre sa vie en l’air...
Rendue là, aussi bien prendre la route des États, forte d’une petite valise et de deux cartes de crédit à remplir. Avec juste assez de lucidité pour se répéter : « Mais qu’est-ce que tu fais Emmanuelle ? »
Il y aura bien des rires jaunes, des regrets et encore des pleurs dans l’odyssée de Manu. Et pour nous qui la suivons, un étonnement constant et amusé devant ses coups de tête.
Mais cela incite aussi à réfléchir à notre manière bien contemporaine de remplir le quotidien, au risque immense qu’il finisse par déborder. C’est là aussi la belle leçon de ce roman qui, osons le dire, est vivifiant !