Voici un roman québécois intelligent qui va droit au coeur
Josée Boileau
Est-ce qu’en passant par l’argent, on comble la quête de soi ? C’est la voie originale qu’emprunte Louis-Daniel Godin, dans un récit qui va au cœur.
Quand on ouvre Le compte est bon, le premier chapitre est affublé du chiffre 0 — comme dans C’est zéro de Julie Masse, entendu partout quand le narrateur était enfant.
Ce zéro n’est pas anodin. Il témoigne des débuts de questionnements fondamentaux : « C’est combien zéro ? ». Il y en aura bien d’autres, dont témoigne la numérotation des chapitres suivants : cinq chapitres 20 se succéderont, mais il y aura aussi 141, 17 500 ou bien 2012. Les nombres sont la colonne vertébrale du roman.
Mais est-ce bien un roman ? Il met en scène Louis-Daniel Godin-Ouimet qui a toutes les caractéristiques de l’auteur, dont la première, marquante : il est un enfant adopté.
« À cinq jours », précise-t-il. Donc quasiment à la naissance, ce qui embrouille les cartes. Après tout, année après année, sa mère adoptive (pourquoi ce qualificatif puisqu’elle est présente depuis quasiment toujours ?, s’interroge le narrateur) souligne son entrée dans la famille comme si sa vie à lui avait commencé ce jour-là.
Or, n’y a-t-il pas eu de l’argent versé en échange de son arrivée ? Est-ce que cela signifie qu’il a une dette envers sa mère ?
Cela se pose d’autant plus que l’argent manque souvent quand on est caissière au IGA, puis qu’on se sépare, puis qu’on tombe sur un Marcel dépressif et qui boit, et qu’on rêve de gros lot et de beaux bijoux. On garde même le 20 $ que le petit Louis-Daniel a un jour reçu en cadeau. Lui ne comprend pas que l’argent mis en sécurité dans la sacoche de sa mère ait disparu.
C’est déjà intéressant de mesurer à quel point le rapport à l’argent guide notre vie quotidienne. Godin y mêle une quête identitaire, où un adulte qui gagne maintenant très bien sa vie cherche à comprendre d’où vient celui qui écrit.
Une autre vie possible
L’auteur observe donc son personnage à distance ; il insiste lui-même sur cet écart : quelle est la vérité dans ce qu’il raconte ? Surtout, l’adoption est indissociable de son sentiment d’étrangeté ; elle implique qu’une autre vie lui aurait été possible.
Ses confessions sont donc marquées d’hésitations. « On peut encore se défiler », comme il l’écrit au début d’un chapitre relatant une histoire d’amour bien particulière. Néanmoins, il va plonger, « la détricoter et la retricoter », comme il le fait avec tant d’autres moments de son existence.
Et il faut voir l’habileté de Godin avec les mailles ! Ses phrases sont longues et répétitives, mais il n’en échappe aucune. Alors on s’adapte vite au souffle particulier du récit, qui nous entraîne au Uniprix et sur le plateau de La poule aux œufs d’or, jusqu’aux demandes de prêts et bourses et à la rédaction d’une thèse...
Tout cela est riche d’intelligence, de sensibilité, de pétillance ! À lire sans réserve, pour notre plus grand profit.