Rodger Brulotte était rivé à son écran pour la 18e manche
Il devrait se reposer, mais est incapable de ne pas suivre la Série mondiale


Jean-Nicolas Blanchet
Rodger Brulotte se remet d’une chirurgie qui aurait pu le paralyser et qui visait à retirer une tumeur cancéreuse. Il doit se reposer. Il doit décrocher. Mais oubliez ça! Il était réveillé en plein milieu de la nuit mardi après le match de 18 manches.
Il doit se reposer, mais ne rate pas un match.
Il doit se reposer, mais jase avec son ami descripteur des matchs à TVA Sports, Denis Casavant, tous les deux jours.
Il doit se reposer, mais répond aux messages textes de tout le monde concernant la Série mondiale.
Il doit se reposer, mais il voulait me parler jeudi, à la veille du sixième match à Toronto.
Ceux qui le connaissent ne seront pas étonnés.
Je le connais depuis si longtemps, Rodger. Il y a 30 ans, il signait ma casquette quand j’allais aux Expos, à côté de la signature de Youppi! Je lui ai parlé une centaine de fois dans ma vie.

Retrouver notre Rodger
Et quand on s’est parlé, juste avant et juste après son opération, c’était la première fois qu’il n’avait pas la même voix ni le même ton. Les deux, on se parlait avec le motton.
Jeudi, j’ai un peu mieux reconnu notre Rodger. Sa voix tremblote encore. Mais il va mieux. «Je viens d’avoir deux belles journées», me lance-t-il, d’entrée de jeu.
«Écoute, tu devrais voir mes journées: je marche, je m’assois, je marche, je m’assois et je dors!» poursuit-il, en riant.
Il se ménage pour être capable de regarder le baseball. Je lui ai demandé s’il avait assez d’énergie pour se rendre jusqu’à la fin des matchs.
Il est parti à rire: «Ben oui! Voyons!»
Comme beaucoup de gens, c’est de peine et de misère qu’il a terminé le match de 18 manches, mardi.
«Je me suis endormi quatre fois et je me suis réveillé à la fin, raconte-t-il. J’ai texté Karl [Gélinas, analyste des matchs à TVA Sports]. Je lui ai demandé si c’était une reprise et il m’a dit que non.»

Son party d'abord
C’est tout un party que la maladie a enlevé à Rodger. «Mais la priorité, c’est mon party à moi», souligne-t-il.
Il est touché par les clins d’œil que Karl Gélinas et Denis Casavant lui font durant les matchs. «C’est beau tout ça. On a toujours formé une équipe, et ça paraît.»
Denis Casavant a aussi constaté que Rodger prenait du mieux. Ce dernier a pété un solide plomb avec lui concernant quelques décisions du gérant des Jays, John Schneider.
«Denis m’a aussitôt dit: “Bon, je vois que tu vas mieux!”» lance Rodger.
Rodger ne lâche pas le morceau avec moi à propos de Schneider: «Il gagne quand il gère lui-même au lieu de toujours se fier aux statistiques avancées.»
Avoir l'air fou
Comme moi, il avait prédit une victoire des Dodgers en cinq matchs.
«On a l’air fou», l’ai-je piqué
«La beauté, dans mon cas à moi, c’est d’avoir l’air fou», réplique-t-il, en riant.
Qu’est-ce qui nous a échappé?
«On ne se doutait pas, je pense, que les Jays étaient si bons que ça, explique Rodger. Et Ohtani, il est fatigué. As-tu vu son visage quand Vlad a frappé son circuit? Il était surpris et secoué. Il avait l’air de se demander qu’est-ce qui était en train de lui arriver.»
Rappelons qu’avant cette frappe, l’attaque des Jays avait l’air d’une équipe moustique contre le Japonais.
Rodger voit un peu les Expos de 1993 et 1994 dans les Jays de cette année. «Les Expos avaient Larry Walker comme vedette. Sinon, ce n’était pas des vedettes, comme les Jays. Les Expos avaient un jeune lanceur dominant avec Pedro Martinez, comme les Jays avec Yesavage», explique-t-il.

Un match 7?
L’ancien analyste des Expos croit que la série ira en sept parties. Ce sera trop difficile pour les Jays de battre Yoshinobu Yamamoto vendredi. Et «c’est une trop belle série pour ne pas qu’elle se rende en sept», croit-il.
Et là, on se met à imaginer Max Scherzer au monticule pour le match numéro sept. «Penses-y! Imagine! C’est ce que tu veux avoir. Tu es allé le chercher pour ça», ajoute Rodger.
Sans oublier que les Dodgers pourraient être tentés d’y aller avec Ohtani...
Rodger ne le cache pas. Les Blue Jays et le baseball lui permettent de se lever chaque matin en étant heureux et en oubliant un peu son combat. «À travers la maladie, ma passion pour le baseball m’aide à me battre pour vivre.»
Je ne sais pas ce que j’aurais donné, il y a mois, si vous m’aviez dit que j’allais pouvoir jaser de la Série mondiale avec Rodger le 30 octobre.
On est chanceux de t’avoir encore avec nous.