Rivières asphyxiées et remplies de pesticides: pour avoir des cours d'eau en meilleure santé, il faut payer les agriculteurs
L'objectif est de remplacer une partie des cultures de maïs par des arbres ou des végétaux

Annabelle Blais
Pour améliorer la santé des rivières agricoles, il faut payer les agriculteurs pour les services rendus à l’environnement en convertissant une partie de leur culture intensive, croient des experts.
Ces rivières sont asphyxiées et remplies de pesticides, comme le démontrait notre dossier sur la santé de nos cours d’eau publié ces jours-ci.
«Dans les bassins versants où il y a moins de 30% de végétation naturelle, la qualité de l'eau est systématiquement dégradée», explique Stéphane Campeau, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières et membre de Rive, un centre de recherche sur les interactions bassins versants – écosystèmes aquatiques.
Or, dans les bassins où les cultures de maïs et de soya dominent, la végétation naturelle est souvent réduite à 15% du territoire, ajoute le professeur. De plus, ces cultures, qui occupent la moitié de toute la superficie cultivée au Québec, exigent de grandes quantités de pesticides. Pas étonnant que les pires rivières du Québec se trouvent dans ces bassins.
«Les reins pour les bassins versants, c’est la végétation naturelle, dit le professeur. On aura beau essayer de changer la fertilisation ou de changer les pratiques... il y a une limite à ce qu'on peut faire quand un bassin n'a plus les reins nécessaires pour filtrer tout ce qu'on met dedans», poursuit M. Campeau.
Remplacer le maïs et le soya
«Il faut trouver des solutions qui vont être gagnantes pour tout le monde, et l'une d'elles est de rétribuer les producteurs agricoles pour les services qu'ils rendent à la nature», ajoute le professeur. Ces services, ce sont par exemple d'utiliser une partie de leur champ pour y planter des arbres et végétaux ou d’autres cultures, plutôt que du maïs.
Le Plan d’agriculture durable 2020-2030 du gouvernement Legault, doté d’un budget de 150 millions $, comprend déjà certains incitatifs financiers pour encourager les agriculteurs à utiliser moins de pesticides, à planter des cultures de couverture, des haies brise-vent et des bandes riveraines.
- Écoutez la chronique faits divers d’Annabelle Blais, journaliste au Bureau d’enquête de Québecor, dans laquelle elle revient sur l'état lamentable de nos rivières via QUB radio :
Mais les mécanismes de compensation peuvent aller encore plus loin.
«Il pourrait être intéressant de faire une culture moins intensive à plusieurs endroits», explique Raphaël Proulx, directeur du Centre de recherche Rive de l’UQTR.
«Sur des terres en pente, le bord d’un cours d’eau, un agriculteur pourrait planter des cultures de type prairie», illustre-t-il.
Crédits carbone
En échange, comme cette nouvelle culture est moins rentable, on rétribue l’agriculteur avec des crédits carbone.
«Si avec la nouvelle culture, il a perdu 50% sur ses marges bénéficiaires par rapport à ce qu’il aurait avec du maïs, il peut être en partie compensé par la vente des crédits carbone, explique M. Proulx.
«Il faut les payer pour les services écosystémiques comme si c'était du maïs, mais à la place, ce sera du peuplier hybride ou d'autres essences qui vont séquestrer le carbone», illustre M. Campeau.
L’agriculteur peut donc continuer son métier, recevoir des revenus équivalents, ou presque, et réaliser de grands bénéfices environnementaux, car en plus de stocker du C02 et de combattre les changements climatiques, il améliore aussi la qualité de l’eau et crée des corridors fauniques.
«Notre seule chance est de faire un virage et de dire aux producteurs: “On va vous payer pour les services écosystémiques que vous rendez et ça va compenser pour la perte de rendement”, ajoute M. Campeau. Ça va être difficile d'améliorer la situation sans passer par là [...]. Si on ne réussit pas à ramener la végétation naturelle le long des cours d'eau, on ne réussira pas à avoir des cours d'eau en santé; il y a une limite qu'on a dépassée.»