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L'article provient de Le Journal de Québec
Santé

Révolution thérapeutique: corriger des erreurs génétiques grâce aux ciseaux moléculaires

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Photo portrait de Richard Béliveau

Richard Béliveau

2024-01-21T23:13:22Z
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L’approbation récente d’une thérapie génique pour corriger le gène défectueux responsable de l’anémie falciforme représente une percée majeure pour la science moderne.

Les bactéries se défendent contre les virus (phages) qui les attaquent par un mécanisme raffiné de défense biochimique, appelé CRISPR-Cas9 : ce système découpe l’ADN du virus en petits morceaux et conserve précieusement ces fragments dans leur génome pour garder en mémoire le passage du virus. 

Lorsqu’un autre virus similaire infecte la bactérie, il est immédiatement accueilli par des versions complémentaires de ces fragments qui vont se fixer sur l’ADN du virus et entraîner l’activation de l’enzyme Cas9 qui coupe l’ADN viral et empêche l’infection.

Le génie scientifique des Dres Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna (Prix Nobel de chimie en 2020) a été d’envisager de manipuler ce système à notre avantage de façon à guider l’enzyme vers une région bien précise de l’ADN humain, pour corriger des maladies génétiques. En utilisant des fragments qui vont aller se fixer spécifiquement sur ces régions, on peut alors éliminer ou corriger une erreur génétique responsable d’une pathologie donnée.

Anémie falciforme

L’énorme potentiel thérapeutique de cette approche vient d’être confirmé par l’approbation récente par la FDA de la plate-forme CRISPR-Cas9 pour le traitement de la drépanocytose (anémie falciforme). 

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Dans cette maladie héréditaire, une mutation dans le gène de l’hémoglobine (la protéine qui transporte l’oxygène dans les globules rouges) rend les globules rouges déformés et très collants, ce qui cause la formation d’agrégats de cellules qui obstruent les vaisseaux sanguins. 

Ces blocages réduisent l’apport d’oxygène aux tissus et provoquent des périodes de douleur intense et incapacitante.

La thérapie génique qui vient d’être approuvée (appelée Casgevy) vise à corriger ce défaut en réactivant les gènes de l’hémoglobine fœtale (HbF) qui sont normalement désactivés chez les adultes. (1)

L’approche utilisée consiste à isoler les cellules souches hématopoïétiques des patients atteints de drépanocytose et à utiliser CRISPR-Cas9 pour inactiver un autre gène appelé BCL11A qui empêche l’expression de cette HbF.  

Les cellules qui ont été ainsi génétiquement modifiées sont par la suite réimplantées dans la moelle osseuse des patients et, dans les mois qui suivent, génèrent des globules rouges contenant la HBF.  

Étant donné que le gène HbF ne contient pas la mutation, son expression dans les globules rouges modifiés supplante l’hémoglobine défectueuse et réduit du même coup le nombre de globules rouges non fonctionnels. 

Dans les essais cliniques, cette approche a complètement éliminé les épisodes de douleur intense chez 28 des 29 patients suivis pendant au moins un an, ce qui représente un succès tout à fait remarquable.

Une première étape

Cette nouvelle thérapie est excessivement complexe du point de vue clinique, car elle implique plusieurs manipulations des cellules souches et nécessite donc une infrastructure scientifique de pointe, surtout retrouvée dans les pays occidentaux développés.  

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Même si la drépanocytose est la maladie génétique la plus fréquente dans le monde, avec environ 300 000 personnes qui naissent porteuses de la mutation responsable de cette maladie, chaque année, 80 % des cas sont retrouvés en Afrique subsaharienne et les coûts astronomiques de traitement (environ 2 millions de dollars US par patient) rendent difficile l’accès à cette thérapie, du moins à court terme, pour ces pays. 

Mais comme c’est très souvent pour les nouvelles révolutions scientifiques, les prix élevés des premiers prototypes deviennent de plus en plus accessibles avec le temps et une tendance similaire sera vraisemblablement observée pour ces thérapies.  

Il faut donc voir cette thérapie comme la première étape d’une nouvelle génération de traitements qui permettront de guérir des maladies graves jusqu’ici considérées comme incurables, une preuve de validation de ce nouveau concept scientifique. 

Cette percée majeure provient initialement de savants qui s’intéressaient à la réponse des bactéries aux virus, ce qui montre à quel point la recherche fondamentale, qui n’a en apparence pas d’applications concrètes immédiates, est capitale pour la découverte de nouveaux traitements contre les maladies qui affligent l’humanité.  

Un exemple concret du génie humain et de son incroyable capacité à comprendre le monde qui l’entoure pour améliorer la condition humaine. 


♦ (1) Esrick EB et coll. Post-transcriptional genetic silencing of BCL11A to treat sickle cell disease. N. Engl. J. Med. 2021; 384: 205-215.

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