Résidences de tourisme: facile de tricher sur Airbnb
Le Journal a découvert des centaines de personnes qui prétendent louer leur résidence principale sur la plateforme, alors qu'ils n'y habitent pas
Dominique Cambron-Goulet, Anouk Lebel et Jean-Philippe Guilbault
Des centaines de propriétaires affichent des logements à louer sur Airbnb, comme s’il s’agissait de leur résidence principale, alors que ce n’est pas le cas, a découvert Le Journal. Un stratagème facilité par les villes et le ministère du Tourisme qui ferment les yeux.
En pleine crise du logement, ces fausses résidences principales amplifient la pénurie d’appartements dans les grandes villes.
Le Journal a constaté l’ampleur du problème en analysant, sur la plateforme Airbnb, des milliers d’annonces comportant un numéro d’enregistrement officiel d’établissement de résidence principale partout au Québec.
Selon la Loi sur l’hébergement touristique, la personne qui loue un établissement de résidence principale devrait y demeurer «de façon habituelle en y centralisant ses activités familiales et sociales».
- Écoutez les explications du journaliste Dominique Cambron-Goulet via QUB :
Mais notre enquête prouve qu’ils sont nombreux à n’y avoir jamais habité ou à ne plus y résider depuis plusieurs années.
Nous avons notamment découvert que:
- Des dizaines de couples déclarent chacun une adresse différente comme résidence principale;
- Des partenaires d’affaires enregistrent chacun une résidence principale, mais exploitent ensemble tous ces établissements;
- Des propriétaires ou des hôtes Airbnb utilisent jusqu’à 12 fois le même numéro d’enregistrement de résidence principale pour des annonces distinctes;
- Des hôtes volent des numéros valides de résidents d’autres municipalités.
Facile d'avoir un permis ou même plusieurs
Ces permis ont été obtenus sans qu’une preuve d’adresse soit demandée et avec une simplicité désarmante.
Nous avons d’ailleurs croisé quelques propriétaires dans des maisons cossues à des kilomètres de leur «résidence principale».
De nombreuses annonces ont par ailleurs été retirées après les questions du Journal.
Environ 150 personnes se sont même inscrites auprès du ministère du Tourisme comme exploitant de deux voire trois résidences principales.
Dans la région de Québec, un dénommé Gabriel Brunette-Savard, revient même à quatre reprises dans la liste, toujours avec des partenaires différents.
Ces personnes ont pu s’enregistrer à plusieurs adresses, parfois côte à côte, parfois dans différentes municipalités, sans que le ministère lève un drapeau.
«La définition de résidence principale prévue à la Loi sur l’hébergement touristique ne permet pas qu’un même individu ait plus d’une résidence principale», confirme Jean-Manuel Téotonio, porte-parole du ministère du Tourisme.
La ministre Caroline Proulx a refusé de nous accorder une entrevue sur la question.
Le ministère se défend d'avoir accordé plusieurs permis aux mêmes personnes «au moyen d’un processus strict et rigoureux de vérifications».
« Bien entendu, cela suppose que le demandeur divulgue des informations véridiques dans le cadre de sa démarche d'enregistrement », indique M. Téotonio.
«Une passoire»
«C’est une vraie passoire. La réglementation est trop facile à contourner», affirme le porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires (RCLALQ), Cédric Dussault.

«Ce que ça a pour conséquence, c’est qu’on a une perte nette de logements qui seraient disponibles pour la location à long terme, mais qui s’en vont dans des résidences de tourisme.»
Selon Cloé St-Hilaire, doctorante à l’Université de Waterloo et spécialiste de la location court terme, «déterminer une résidence principale, on est en train de voir que c’est extrêmement difficile. Il y a un niveau d’analyse et d’effort qui doit être fait et je ne crois pas qu’en ce moment c’est fait», dit-elle.
L'entreprise Airbnb n'a pas été en mesure de commenter nos cas spécifiques, mais a rappellé que ce sont les villes et la CITQ qui accordent les permis.
«Airbnb suit le système mis en place par le gouvernement du Québec. Aucune autre municipalité ou province ne dispose d'un système aussi lourd et redondant», a indiqué le porte-parole Matt McNama.
Qu’est-ce qu’une résidence principale sur les plateformes?
Depuis mars 2023, tous les Québécois peuvent louer à court terme, sur une plateforme comme Airbnb, leur résidence principale.
Il suffit d’obtenir un numéro d’enregistrement auprès de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ), un organe du ministère du Tourisme.
Selon la Loi sur l’hébergement touristique, «une résidence principale est la résidence où une personne physique demeure de façon habituelle en y centralisant ses activités familiales et sociales et dont l’adresse correspond à celle qu’elle indique à la plupart des ministères et organismes du gouvernement».
Pour interdire ou restreindre de telles locations, les villes peuvent voter des règlements qui doivent être approuvés par un référendum citoyen.