Repêchage de la LNH: on a suivi Justin Carbonneau et sa famille en coulisses jusqu'à ce qu'il devienne un choix de première ronde

Kevin Dubé
LOS ANGELES | Les joueurs de hockey rêvent tous à la Ligue nationale de hockey et, pour plusieurs appelés, il n’y a que très peu d’élus. Pour une grande partie de ceux qui l’atteignent, tout débute avec le repêchage de la LNH. Mais comment vivent-ils ces moments inoubliables? La famille de Justin Carbonneau a accepté de nous accueillir dans son intimité afin qu’on puisse voir, de l’intérieur, comment un espoir de premier plan vit la fin de semaine de son repêchage dans la LNH.
Justin Carbonneau est assis confortablement à une table avec son agent, Olivier Fortier, et l’auteur de ces lignes. Il est autour de 8h, à Los Angeles. Calme et souriant, on n’a pas l’impression d’être avec un jeune homme qui s’apprête à vivre la plus belle et probablement la plus stressante journée de sa vie un peu plus de 24h plus tard.
L’ambiance est décontractée. Même que, quand Fortier nous raconte à quel point Carbonneau est un passionné de hockey et qu’il connaît presque les contrats de chacun des joueurs de la LNH sur le bout des doigts, on le met au défi... qu’il réussit avec brio.
On l’a compris quand on lui a demandé de nous donner les modalités du contrat de Dakota Joshua avec les Canucks de Vancouver et qu’il l’a eu, presque à la virgule près.
Mais, pour le repêchage: tu t’attends à quoi? lui demande-t-on.
Dans les jours précédents, Fortier nous avait parlé de l’intérêt marqué de quelques formations, notamment les Sabres de Buffalo, qui parlent au neuvième rang, tout comme les Penguins de Pittsburgh qui possèdent les choix 11 et 12, et les Red Wings de Detroit qui sélectionnent tout juste après, au 13e rang.
Il y a aussi, évidemment, le Canadien de Montréal qui, à ce moment, détient toujours les choix 16 et 17.
Mais pour Carbonneau, ça n’a aucune importance. Déçu de ne pas avoir été repêché au premier tour du repêchage de la LHJMQ, après s’être fait des attentes en ce sens, il préfère n’en avoir aucune, à Los Angeles.
Question de ne créer aucune attente, Carbonneau refuse de nous mentionner s’il a un pressentiment particulier pour une équipe.
En fouillant, on réalise qu’une autre équipe semble dans la course. Lors de sa première rencontre avec Carbonneau, lorsque ce dernier a décidé de changer de représentant et de joindre la firme Wasserman, Fortier lui a demandé s’il avait un sentiment particulier envers une équipe.
«Il m’a répondu les Blues de St-Louis. Il me l’a dit une fois mais ne m’en a plus jamais reparlé depuis», révèle-t-il.
«Pourquoi on devrait te repêcher?»
Après le déjeuner, Carbonneau a une longue liste d’entrevues avec des médias québécois présents à Los Angeles, ainsi que deux avec des équipes de la LNH qui désirent le rencontrer une dernière fois, en visioconférence, avant la première ronde du lendemain soir.
Cette année, le format est un peu différent. Les équipes de la LNH ne sont pas sur place, si bien qu’elles ne peuvent rencontrer en personne les espoirs.
Ce jour-là, les Sénateurs d’Ottawa et les Jets de Winnipeg ont sollicité une dernière entrevue avec Carbonneau. Les Sens possèdent le 21e choix tandis que les Jets parlent un peu plus loin, au 28e rang.
On s’attend à ce que le Québécois soit sélectionné avant ça, mais, sait-on jamais.
Ce sont des entrevues plus informelles, et on est loin des questions un peu champ gauche typiques du Combine.

Les Jets, après avoir questionné Carbonneau sur sa famille, sur ce qu’il devait travailler et, évidemment, sur ses aspirations à la NCAA (question à laquelle il a répondu qu’il attendrait de connaître l’opinion de l’équipe qui allait le repêcher avant de prendre une décision), les dirigeants des Jets concluent en demandant à Carbonneau: «pourquoi est-ce qu’on devrait te prendre?»
«Certains joueurs ont un meilleur lancer, un meilleur coup de patin ou sont plus gros que moi. Par contre, mon désir de tout faire pour atteindre mon but et gagner une coupe Stanley est inégalé dans ce repêchage», leur lance-t-il.
Entre nervosité et excitation
Puis, c’est le grand jour. Enfin, après des années de travail, à voir la LNH comme un rêve lointain et presque inaccessible, la famille Carbonneau se réveille, le 27 juin, plus près que jamais de voir Justin réaliser son rêve.
«La journée n’a pas passé très vite», nous lance en riant le père de Carbonneau, Pascal, visiblement nerveux lorsqu’on les rejoint au lobby de l’hôtel où ils logeaient.

Et on s’en rend encore plus compte quand il tente d’ouvrir l’enveloppe contenant les billets de la famille Carbonneau, et qu’il est incapable de le faire tellement les mains lui tremblent!
«J’ai été nerveux pas mal toute la journée, mais surtout depuis une demi-heure», avoue-t-il.
Mais, si on voit la nervosité dans les yeux de Pascal et de la mère de Justin, Audrey, c’est surtout de la fierté qui les illumine.
Comme une star
Quelques heures auparavant, Olivier Fortier avait tenu à les réunir afin de les préparer au meilleur, mais aussi au pire.
«Ça se peut que Justin sorte 32e ou même qu’il ait à attendre à demain, les a-t-il prévenus. C’est la journée de Justin, la plus belle de sa vie, et deux choses peuvent la gâcher: les attentes, qui sont la pire affaire, ou des réactions négatives s’il glisse.»

Puis, ça part!
Invité au sein d’un groupe de 16 jugés comme les meilleurs espoirs présents par la LNH à défiler sur le tapis rouge, il joue à la vedette hollywoodienne en compagnie des autres premiers de classe, dont son ami Caleb Desnoyers qui deviendra, quelques heures plus tard, le quatrième choix au total par le Mammoth de l’Utah.

Et c’est l’heure d’entrer au Peacock Theater de Los Angeles et de trouver leurs sièges.
La pression commence à monter.
On assiste tout d’abord au moment le plus touchant de la soirée lorsque les Islanders font de Matthew Schaefer le tout premier choix du repêchage et que ce dernier éclate en sanglots, en pensant à sa mère décédée du cancer il y a 16 mois.
Puis suit un enchaînement de choix, et de malaises, en raison d’une formule de repêchage renouvelée et visiblement pas au point.
Quand le Kraken de Seattle annonce la sélection de Jake O’Brien au huitième rang, le rythme cardiaque de la famille Carbonneau s’accélère: ce sont les Sabres qui repêchent par la suite.
Mais ils sélectionnent plutôt le grand défenseur Radim Mrtka alors que Pittsburgh et Detroit vont aussi dans une direction différente.
«Il n’avait pas besoin de parler. Juste la façon qu’il bougeait, je le voyais qu’il était dans sa tête», raconte sa mère.
Puis, avec le 19e choix au total, les Blues envoient l’humoriste Nikki Glaser pour annoncer leur sélection.
Et après avoir quelque peu (beaucoup) déformé les noms de Blainville et Boisbriand, elle prononce le nom de Justin Carbonneau.
Des larmes de joie

Après avoir enlacé ses parents et son grand frère, il se présente sur la scène, les yeux rougis par l’émotion. Après avoir serré la pince du commissaire Gary Bettman et avoir reçu son chandail, il éclate en sanglots lors de la première entrevue qu’il donne, à Renaud Lavoie de TVA Sports.
Dans sa tête, il pense à tous ceux qui l’ont mené jusqu’à ce moment par leurs encouragements et leurs sacrifices: ses parents, son frère, ses coéquipiers.
Pour Carbonneau, la suite est un feu roulant: entrevues avec les médias sur place, puis ceux à St-Louis, séance de photos et de vidéos.
Et près de deux heures plus tard, il est accueilli en héros par sa famille et ses proches dans un resto-bar non loin du Peacock Theater.
«C’est exactement pour ça que je fais ce travail», nous lance alors Olivier Fortier, en regardant Carbonneau enlacer ses proches après avoir vécu ce qui est, pour l’instant, le fait saillant de sa jeune carrière.

Et les émotions sont encore palpables.
«Ç’a été beaucoup plus émotif qu’on pensait, mentionne Pascal Carbonneau. On pleurait tous. La LNH, c’est son rêve depuis qu’il a quatre ans. Déjà, à cet âge, il parlait qu’il allait jouer dans la LNH et, nous, on lui disait que c’était rare, les joueurs qui l’atteignaient», ajoute-t-il, l’émotion l’empêchant de continuer sa phrase.
Il n’a pas besoin de le faire, son silence veut tout dire.
Son fils vient de mettre un premier pied dans la porte qui le mène à son rêve.