Rencontre embarrassante entre le ministre Champagne et la directrice des présumés «postes de police» chinois
Le ministre libéral affirme qu’il ignorait que Xixi Li serait présente à l’événement partisan organisé par sa collègue Alexandra Mendès


Sarah-Maude Lefebvre
Une députée libérale qui soutient ouvertement les présumés «postes de police» chinois sous enquête par la GRC a créé un malaise en conviant son collègue ministre François-Philippe Champagne au même événement partisan que la directrice de ces organisations controversées.
Notre Bureau d’enquête a découvert que le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie François-Philippe Champagne a rencontré Xixi Li lors d’une soirée libérale dans un petit restaurant de Brossard le 20 février dernier.
Mme Li, qui est aussi conseillère municipale de Brossard, dirige les deux centres communautaires que la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) soupçonne de surveiller et d’intimider des citoyens pour le compte de Beijing en sol québécois.
- Écoutez la rencontre politique avec Yasmine Abdelfadel et Marc-André Leclerc via QUB :
La soirée partisane, qui visait à remercier des bénévoles libéraux, ne comptait qu’une trentaine de personnes. C’est la députée de Brossard–Saint-Lambert, Alexandra Mendès, qui organisait l’événement.
Le ministre Champagne affirme qu’il n’était pas au courant que Mme Li serait sur place.
«On s’attend à ce que les organisateurs d’événements publics auxquels le ministre participe fassent les vérifications qui s’imposent», a réagi la porte-parole du ministre Champagne, Audrey Champoux.

Le ministre mal à l’aise
Le malaise du ministre ne se limite pas à cet événement. Le ministre Champagne a aussi désavoué les critiques de la députée Alexandra Mendès envers la GRC.
C’est que la députée de Brossard–Saint-Lambert ne mâche pas ses mots envers le corps policier et sa «soi-disant enquête» sur les deux centres communautaires de Montréal et de Brossard.
«Il y a certains blâmes à mettre sur la GRC [...] C’est sûr que [cette enquête] a fait énormément de tort à l’organisation. Est-ce que ça sert à quelque chose? Je ne crois pas», a affirmé la députée Mendès, en entrevue avec notre Bureau d’enquête.
Ces propos font vivement réagir des experts qui rappellent la règle fondamentale selon laquelle le politique ne doit jamais s’ingérer dans le domaine judiciaire (voir ci-bas).
«On n’est pas d’accord avec les propos [de Mme Mendès]. On respecte l’enquête de la GRC et on attend de savoir ce qui va en sortir», a commenté la porte-parole du ministre Champagne, Audrey Champoux.
De «l’archarnement»
La députée Mendès nous a confirmé rencontrer fréquemment Mme Li, qu’elle appuie «absolument, à 100%», tout comme les deux centres enquêté par la GRC, même si une investigation est toujours en cours. «Ce sont des organismes avec qui j’ai toujours travaillés quand j’étais moi-même dans le communautaire. Je n’ai jamais entendu la moindre plainte», dit-elle.
«Ce sont des enquêtes qui ont peut-être lieu en arrière-plan [background], mais qui ont détruit l’organisme sans jamais arriver avec la moindre preuve, sans même avoir un fait concret à leur reprocher», dit celle qui est aussi vice-présidente adjointe de la Chambre des Communes.
«J’aimerais qu’ils en finissent. S’ils ont un cas contre l’organisation, qu’ils le démontrent ou alors qu’ils cessent de s’acharner sur eux» dit-elle, affirmant que les deux organismes peinent à maintenant à fournir des services à la diaspora chinoise de Brossard.
La GRC enquête toujours
Questionné sur la sortie de Mme Mendès, le porte-parole de la GRC, Charles Poirier, nous a indiqué que leur enquête criminelle était toujours en cours et qu’il n’y a «pas d’intention de la conclure à ce stade-ci».
Xixi Li, pour sa part, n'a pas répondu à notre invitation à émettre des commentaires.
En mars 2023, notre Bureau d’enquête révélait que le Service à la famille chinoise du Grand Montréal et le Centre Sino-Québec de la Rive-Sud, à Brossard, faisaient l’objet d’une enquête de la GRC. Le corps policier soupçonne les deux centres de compter parmi les nombreux présumés «postes de police» chinois recensés à travers le monde.
Les deux centres, qui plaident l’innocence, ont intenté une poursuite de 4,9 M$ contre la GRC . Le grand patron de la GRC, le commissaire Mike Duheme, a déclaré à ce sujet en entrevue à Radio-Canada que l’enquête avait débuté sur la base d’informations «crédibles».
«Ce n’est pas la première fois que nous sommes poursuivis en justice parce que nous enquêtons», a-t-il aussi déclaré.
La directrice des deux centres, Xixi Li, poursuit également la mairesse de Brossard Doreen Assaad à qui elle réclame 68 000$ en dommages . Elle reproche à la mairesse de l’avoir discrédité publiquement en lien avec l’enquête de la GRC sur les deux institutions qu’elle dirige. Aucune accusation n’a été déposée dans le cadre de cette enquête jusqu’à maintenant.
«Si j’étais elle, je démissionnerais»
Il est inconcevable qu’une députée en fonction se mêle d'une enquête policière affirment les anciens diplomates et policiers que nous avons interrogés.
«Ça me fascine qu’une députée s’immisce dans un processus judiciaire. Il y a une séparation des pouvoirs qui est normalement admise. Elle devrait faire preuve de réserve. Les poils me dressent sur la tête [...] Aller commenter une enquête, c’est vraiment ordinaire», affirme Paul Laurier, ancien enquêteur à la Sûreté du Québec.
«Si j’étais elle, je démissionnerais», poursuit celui qui a aussi été membre de l’Équipe intégrée de la sécurité nationale de la GRC.
«Ce n’est pas juste un devoir de réserve. C’est un devoir éthique de respecter cette séparation des pouvoirs. Ça devrait être compris de tous les élus. C’est un accroc à la démocratie pour un élu de commenter une enquête en cours [...] en plus de possiblement nuire à la sécurité nationale», analyse Jean-François Savard, professeur à l’École nationale d’administration publique.
Selon l’ancien diplomate Guy Saint-Jacques, qui a été ambassadeur en République populaire de Chine de 2012 à 2016, Mme Mendès agit possiblement de la sorte pour plaire à la large diaspora chinoise de sa circonscription.
«Elle a dû sentir que cette enquête était mal reçue et a voulu se mettre de leur côté. Ça a été la position du Parti libéral pendant des années de fermer les yeux [sur l’ingérence chinoise] pour ne pas s’aliéner la communauté [...] Franchement, si elle n’est pas au courant de toutes les activités d’interférence exercées par la Chine, il est temps qu’elle demande un bon briefing au SCRS [Service canadien du renseignement de sécurité]», affirme-t-il.
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