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L'article provient de TVA Sports
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CF Montréal : Renard et Cremanzidis, figures de proue

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Photo portrait de Fréderic Lord

Fréderic Lord

2022-02-23T17:21:09Z
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Même si le CF Montréal se cherche toujours un président, l’équipe semble en mains sûres d’un point de vue sportif. Depuis deux saisons, le directeur sportif Olivier Renard et son adjoint Vassili Cremanzidis opèrent une petite révolution au sein du club.

D’une équipe aux contours flous, ils sont en train d’asseoir une identité sportive on ne peut plus claire dans la tête des amateurs du Québec. Jeunesse de l’effectif, développement de joueurs, qualité dans le jeu dont les entraîneurs adverses et commentateurs à travers la MLS font écho, Renard et Cremanzidis cherchent à pérenniser leur approche à l’aube de cette troisième saison. 

Pendant le camp du CF Montréal à Fort Lauderdale en Floride, Vincent Destouches et moi avons eu le privilège de nous asseoir avec ces deux hommes pour discuter des enjeux auxquels ils font face dans leur quotidien professionnel.

Nous reproduisons en deux parties cette longue conversation qui porte un éclairage sur les différents rouages de la MLS qui sont parfois difficiles à bien saisir.

Notez que cette conversation a été éditée pour en faciliter la lecture:

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Frédéric Lord (FL) : C’est de plus en plus clair que vous formez une équipe à la tête, d’un point de vue sportif, du CF Montréal. Olivier est en charge, mais il ne pourrait tout accomplir sans les lumières de Vassili. Au quotidien, vous semblez très proches. Comment qualifieriez-vous votre relation?

Olivier Renard (OR): En acceptant le projet à Montréal, c’était une obligation pour moi d’avoir une personne qui connaissait bien les règles de la MLS et qui pouvait m’aider à avancer rapidement. Vassili et moi, on ne se connaissait pas avant que j’arrive, mais - même si je ne crois pas vraiment à ce concept - je crois qu’il y a eu un « coup de foudre » entre nous (rire).

Vincent Destouches (VD) : On en rigole, c’est une relation de travail que de toute façon vous auriez dû entretenir, mais est-ce que ça aide avoir cette proximité?

OR : Après, il y a eu plusieurs étapes. Il fallait d’abord apprendre à se connaître. Ensuite, je lui ai délégué de plus en plus de responsabilités pour me concentrer sur des choses que j’aime faire. Mais j’ai rapidement vu ses capacités et ça m’a permis de lui laisser s’occuper de ce qui était prévu, mais même encore plus.

Vassili Cremanzidis (VC): Je savais dès son arrivée qu’Olivier était capable d’apprendre rapidement, notamment à cause de son expérience. Vite, on s’est fait confiance et maintenant au stade on a le même bureau. En Floride, on est presque que toujours ensemble à l’entraînement et aux soupers. On s’amuse beaucoup.

VD : Je ne crois pas me tromper en disant que Kevin Gilmore avait à l’époque dressé les critères pour être directeur sportif à Montréal. L’un de ceux-là, c’était connaître un peu la MLS, ce qui n’était pas nécessairement ton cas, Olivier. Toi Vassili, tu es la garantie à la base « encyclopédie MLS », règles et tout ça. Olivier, il a quand même bien appris les règles pour un directeur sportif étranger.

VC : Olivier les a apprises très, très vite et il les connait maintenant presqu’autant que moi. En même temps, tu ne sais pas quand il y aura une nouvelle règle dans cette ligue...

OR : Ou si elles seront bien appliquées... (rire)

VC : Le GAM (argent d’allocation), le TAM (argent d’allocation ciblée), les places internationales, comment les contrats peuvent être structurés parce que la ligue a des règles particulières, tout ça il l’a appris rapidement. Mais Olivier l’a bien expliqué : il fait les choses qu’il aime faire, je fais celles que j’aime et je crois que c’est ce qui marche bien entre nous.

FL : Olivier, en t’écoutant en entrevue dernièrement, j’ai l’impression que tu as voulu « redresser » le message. C’est-à-dire expliquer que le CF Montréal est certes un club formateur, mais ce n’est pas sa raison d’être première. L’objectif, ça reste évidemment de gagner bien avant de vendre ou développer.

OR : La communication, c’est large. On a ce point de vue d’expliquer aux gens ce qu’on a envie de faire. De toute façon, si tu mens dans un projet, si tu te mets à vendre tous tes joueurs après avoir dit que tu gardais tout le monde, tu vas perdre la confiance de tes partisans.

C’est là que c’est important d’expliquer les choses. Oui, il y a ce désir de prendre des jeunes et de les développer avec un entraîneur jeune qui a envie de faire progresser son groupe. Évidemment, il faut de bons résultats pour obtenir encore plus d’intérêt pour tes joueurs.

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Mais faire partir des joueurs, ça apporte aussi énormément de fierté pour un directeur sportif et pour un coach. J’ai encore beaucoup de contacts avec des joueurs de très haut niveau que j’ai vendus pour plusieurs millions d’Euro et qui m’envoient des messages pour Noël, le nouvel an, pour savoir comment vont les enfants. Ça, c’est la plus belle chose.

Et quand je les vois jouer au haut niveau, quand je les vois participer à la Coupe du monde – comme je l’espère pour nos Canadiens cette année – ce sont des moments de fierté.

FL : Il y a eu 16 transferts sortants en MLS cette entre-saison, un record. Considérez-vous qu’on a atteint un plateau ou que le nombre va continuer à augmenter?

VC : Je pense que les transferts, autant des joueurs qui entrent que ceux qui sortent, seront de plus en plus nombreux dans les prochaines années. Il y a beaucoup de nouvelles règles, notamment l’initiative U-22 de l’an dernier, qui favorisent ça. Beaucoup de joueurs de 19, 20, 21 ans vont grandir ici en MLS et seront transférés après.

FL : En ce sens Olivier, as-tu l’impression que ton travail c’est de toujours anticiper les nouvelles tendances de la ligue?

OR : Tu dois vivre avec l’anticipation. C’est un sport d’anticipation. Que ce soit moi dans mon bureau ou même les joueurs sur le terrain. Comme disait Vassili, c’est une ligue qui te porte à ça.

En voulant être dans l’anticipation, il y a les règles MLS qui te ne te donnes pas les facultés d’être aussi bon que tu pourrais l’être en Europe. Parce que là-bas, tu peux bloquer quatre ou cinq joueurs si tu en as envie qui seront en fin de contrat dans six mois, parce que l’enveloppe budgétaire n’est pas à deux dollars près.

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Ici, tu dois t’y astreindre. Parfois, tu as envie de prendre un joueur, mais tu dois d’abord attendre ou être sûr d’un départ pour pouvoir avancer. En Europe, tu peux te permettre de bloquer 34 joueurs parce que tu fais une estimation que tu pourras au minimum en vendre un ou deux.

FL : On a l’impression que par moment, les règles par rapport à l’effectif en MLS peuvent constituer un frein à la progression de celle-ci. Ça peut être paradoxal : elle se développe rapidement, mais se ralentit elle-même. Vous en êtes où par rapport à cette réflexion?

OR : Je pense que c’est une ligue qui ne fait que monter. Effectivement, par moment, avec des décisions différentes, elle pourrait aller plus vite, mais parfois aller trop vite n’est pas forcément une bonne chose. Regarde aujourd’hui, dans le football européen avec la Covid, de grands clubs ont des problèmes financiers. Oui, la MLS a des points faibles, mais elle a aussi des points forts. La sécurité des joueurs qui reçoivent toujours leurs chèques de paie, les nouveaux stades, l’engouement des partisans, les prix de transferts des joueurs MLS qui augmentent, etc.

Oui, elle pourrait parfois aller plus rapidement. Comme du point de vue du «cap salarial » qui a été bloqué pendant trois années. Ça ne fait pas nécessairement notre affaire à Vassili et moi, parce que ça complique notre tâche. Comme tous les autres directeurs généraux, d’ailleurs. Mais le contexte actuel fait que ce n’est finalement pas une mauvaise chose.

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VD : Dans cette optique d’anticipation et de prévoir les coups : à quel point vous êtes prévenus en amont par la MLS à propos des changements de règles et à quel point c’est clair et vous pouvez travailler efficacement pour la saison d’après?

VC : La réponse: ça dépend de la règle et l’importance qu’elle peut avoir sur les alignements. Avec l’initiative U-22, on l’a su assez en avance. C’est pour ça que nous avons trois joueurs qui occupent ces positions dans notre effectif (NDLR : Sunusi Ibrahim, Robert Thorkelsson et Matko Miljevic).

L’autre exemple, c’est celle des places étrangères pour les équipes canadiennes. On a confirmé la règle quelque part en décembre. Pour la saison 2022, on avait déjà commencé notre travail sur l’équipe et l’effectif bien avant ça.

OR : Pour répondre à ta question, je te dirais qu’on le sait bien souvent à l’avance, mais ce n’est pas toujours clair. On sait que des changements vont survenir et c’est bien, mais parfois je pose des questions d’interprétations à Vassili et il se tait pendant 10 secondes parce qu’il essaie de réfléchir à l’application de la nouvelle règle. Il me dit ensuite « ah, je vais téléphoner à la ligue pour voir. »

Et c’est ce qui arrive régulièrement. On pose une question à la ligue et elle va modifier le règlement parce qu’elle n’avait pas vu la problématique de cette manière. Ça arrive avec tous les clubs. Il y a des modifications qui se font parce qu’il y a des problèmes qui n’avaient pas été prévus parce que ce sont des règles compliquées.

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FL : Dans cette optique, l’idée de « transparence » revient beaucoup dans les discussions autour de la ligue. J’ai l’impression que c’est une façon de voir – presque une obsession – bien nord-américaine : connaître les salaires, connaître les règles en détail, etc.

Olivier, quelle est ta perspective – européenne - sur ce qu’on pourrait appeler « ce besoin de transparence? »

OR : Moi, ma première réaction, c’est que ce n’est pas vraiment positif de savoir qui dans le vestiaire gagne quoi. Mais, vu que c’est comme ça ici, c’est mieux d’être transparent à 100%. Parce que si ce ne l’est pas complètement, il y a des joueurs qui se posent des questions, des agents qui en posent aussi. « Lui il a ci, lui il a ça parce qu’on a vu ci, on a vu ça. »

Et des journalistes qui veulent jouer au directeur sportif qui vont dire des choses qui sont loin de la vérité. Ça, c’est ennuyant parce que parfois on doit se justifier sur des idées fausses.

Moi, je trouve que c’est mieux comme en Europe de ne rien dire parce qu’il y a moins d’effet de jalousie et de comparaison. Mais à partir du moment où il y a des chiffres qui sortent, tant qu’à le faire, il faudrait le faire à 100%. C’est mon avis.

FL : La première fois que tu as vu l’Association des joueurs de la MLS publier les salaires, est-ce que tu t’es étouffé dans ton café?

OR : Non. Parce qu’il y a des salaires plus importants en Europe. Ce n’est pas tellement les chiffres, c’est la comparaison qui agace.

VD : Ce n’est pas toujours les bons chiffres d’ailleurs. Ça fout forcément un peu le bordel...

OR : C’est là que je veux en venir parce qu’il y a des chiffres qui sortent qui ne sont pas toujours vrais et des règles aussi qui ne sont pas toujours vraies. Ou des gens qui ne comprennent pas et qui ne veulent pas bien comprendre.

VC : Normalement cette année, la ligue aura des chiffres partagés entre les clubs. Je ne sais pas si ce sera rendu public, mais il y aura plus de transparence entre les équipes. Nous, on pourra utiliser ces chiffres de plusieurs façons comme dans des négociations notamment. On pourra aussi apprendre des trucs des autres clubs, comment ils ont géré certaines situations, etc.

FL : Parce que vous ne savez pas tout des autres clubs. Par exemple, vous ne savez pas combien chaque équipe a d’argent d’allocation (GAM) dans ses coffres. Vous avez une idée tout au plus.

VC : Exact. C’est difficile de spéculer, notamment avec une équipe d’expansion comme Charlotte FC. Tu n’as pas exactement le montant de GAM, tu ne sais pas avec certitude si un tel joueur est « désigné » ou « TAM ».

VD : Cette curiosité entre directeurs sportifs, elle existe? On peut penser à ce qui est arrivé avec l’Inter Miami où ils ont dépassé les limites budgétaires de la MLS. Vous vous appelez entre vous pour essayer de savoir comme les autres travaillent?

OR : Oui, ça se fait. Je prends un exemple : Colorado a vendu dernièrement un défenseur à Arsenal (Auston Trusty), un club qui a le même propriétaire. Normalement, si on devait vendre un joueur à une équipe partenaire comme nous avec Bologne, ce ne serait pas si facile de recevoir du GAM. Je peux comprendre la ligue sur ce point-là : imaginons qu’on vend un joueur qui ne soit pas bon, on le vend à Bologne et on reçoit du GAM qu’on n’aurait jamais obtenu autrement.

On a parlé avec Colorado à ce sujet. S’il y a des clubs étrangers intéressés au joueur et que ton équipe « partenaire » arrive à égaler la même offre, le transfert peut aller de l’avant. Bref, les Rapids nous ont un peu aiguillé sur leur façon de naviguer ce genre de transaction. Et ça, c’est une grosse différence par rapport à l’Europe qui est pour moi très positive et j’en parle même à des gens à la fédération belge : la connexion entre clubs d’un même championnat qui ne se font pas la guerre entre eux. Oui, il y a une rivalité sur le terrain, mais il y a un partage d’idées qui ne se fait pas du côté européen.

(Deuxième partie à paraître vendredi 25 février)

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