[EN IMAGES] Suspense électoral à Québec: revivez le récit de cette folle soirée d'heure en heure
La course serrée entre Bruno Marchand et Marie-Josée Savard a retenu l’attention de tout le Québec dimanche soir


Taïeb Moalla
La soirée électorale de dimanche restera dans les annales de la Ville de Québec. Les citoyens se sont couchés en pensant avoir élu une mairesse, mais ils se sont réveillés hier avec un maire à la tête de la municipalité. Une série d’événements improbables a entraîné un fiasco monumental qui restera longtemps gravé dans la mémoire collective de la municipalité.
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20 h 10
Les derniers bénévoles d’Équipe Marie-Josée Savard, chargés de faire sortir le vote jusqu’à la dernière minute, affluent vers l’Impérial de Québec, dans Saint-Roch, où une foule enthousiaste est déjà réunie. Les bureaux de scrutin ont fermé quelques minutes plus tôt. Sur l’écran principal, les premiers résultats tombent et ils sont excellents pour Mme Savard et pour la grande majorité de ses candidats dans les districts.

À ce moment-là, les vieux routiers de la politique au sein de cette équipe expérimentée savent que les premières boîtes de scrutin dépouillées sont issues du vote par anticipation tenu les 30 et 31 octobre. Ils sont conscients que ce vote est « sorti » à un moment où les sondages donnaient encore une avance de quelques points à leur cheffe face à son principal concurrent, Bruno Marchand.
20 h 30

Personne à l’Impérial n’a vraiment envie de jouer les oiseaux de malheur. Après tout, autour de 20 h 30, RDI et LCN annoncent, à quelques minutes d’intervalle, que Marie-Josée Savard est la nouvelle mairesse de Québec après le dépouillement de seulement 20 % des boîtes de scrutin. Sur les écrans, les résultats laissent peu de place au doute. La cheffe vogue vers les 40 % de suffrages, tandis que ses deux adversaires s’échangent la deuxième et la troisième place et tournent autour de 25 % chacun. À ce moment-là, peu de gens présents évoquent la nécessité d’être prudent. Le dernier sondage Léger-Le Journal publié samedi, qui donnait Mme Savard et M. Marchand au coude-à-coude, n’alarme personne. Après tout, les sondeurs ne se trompent-ils pas souvent ? Même le premier ministre du Québec, François Legault, a félicité la gagnante sur Twitter. Alors, à quoi bon s’inquiéter pour rien ?

20 h 30

À quelques kilomètres de là, au Manège militaire, les troupes de Bruno Marchand, chef de Québec Forte et Fière (QFF), accusent le coup. Un silence assourdissant accompagne l’annonce de la « victoire » de Marie-Josée Savard. Les résultats qui défilent contredisent allègrement les pointages des candidats et des militants du parti. Mais qui peut s’opposer à la puissance des réseaux d’information en continu ? Qui peut prendre le risque d’être perçu comme un mauvais perdant ? Qui peut sérieusement remettre en question un résultat aussi limpide ? Bruno Marchand est loin derrière à la course à la mairie. Dans les 21 districts, ses candidats tirent de l’arrière. Seule sa colistière, Catherine Vallières-Roland, semble être en mesure de se faufiler dans Montcalm–Saint-Sacrement. La messe semble dite pour le jeune parti créé il y a à peine quelques mois.

21 h
Retour à l’Impérial, où le candidat dans Maizerets-Lairet Claude Villeneuve est chargé de chauffer la salle en attendant l’arrivée imminente de la cheffe. Le communicateur expérimenté félicite ses coéquipiers qui sont en avance pour « la campagne de terrain » qu’ils viennent de mener et il insiste pour dire qu’une élection se gagne porte par porte. Il ajoute que Marie-Josée est « vraisemblablement » la prochaine mairesse de Québec. Dans le brouhaha ambiant, personne ne prête attention à cette précaution langagière. Plus précisément, personne ne veut vraiment l’entendre. L’affaire est pliée. Marie-Josée Savard est mairesse depuis 20 h 30 et tout se déroule bien.
21 h 15

Mme Savard ne cache pas son émotion en entamant ainsi son discours de « victoire » de huit minutes : « J’ai dit à ma gang en arrière : “Ne soyez pas surpris de l’incohérence de mon discours parce que sérieusement, je... On se prépare toujours un peu à ça, mais en même temps, c’est tellement d’émotions” », bafouille-t-elle. Elle remercie vivement le maire sortant Régis Labeaume, qui croit en la place des femmes en politique, lance-t-elle.

Après avoir terminé son allocution, elle revient au micro quand ses proches lui font remarquer qu’elle a remercié sa fille, mais qu’elle a oublié de dire un mot gentil pour son fils. Quelques minutes plus tard, elle se retire dans une salle privée avec ses proches et la plupart de ses candidats. Une atmosphère survoltée flotte encore sur les lieux. Les militants enthousiastes ne réalisent pas encore que la soirée va bientôt virer au cauchemar.
Autour de 22 h
Au fil du dépouillement, l’écart commence à se resserrer. Bruno Marchand distancie de plus en plus clairement le chef de Québec 21, Jean-François Gosselin, pour la deuxième place. Féru de course, M. Marchand doit sûrement se consoler en se disant qu’il se dirige au moins vers la médaille d’argent. Après tout, c’est plus glorieux que la médaille de bronze. En même temps, dans les districts, ça commence à chauffer pour les candidats d’Équipe Marie-Josée Savard. Ceux qui croyaient avoir gagné en sont maintenant beaucoup moins certains. Il est vrai, Marie-Josée Savard possède encore 3000 à 4000 voix d’avance sur Bruno Marchand, mais il reste tellement de boîtes à dépouiller et l’écart ne fait que se rétrécir. Les yeux sont désormais rivés sur le nombre de boîtes qui n’ont pas encore dévoilé leurs secrets.
22 h 05

À l’Impérial, l’ambiance devient soudainement lourde, irrespirable et tendue. Autour des tables, tous sont désormais rivés à leurs téléphones. On actualise frénétiquement les pages consacrées aux résultats électoraux en s’accrochant à l’espoir que l’avance de Mme Savard se maintienne

Dans Limoilou, Suzanne Verreault est maintenant en retard contre la colistière de Jackie Smith, cheffe de Transition Québec. Dans Saint-Louis–Sillery, Émilie Villeneuve est en train de se faire rattraper par QFF. Dans Louis-XIV, Archy Donald Beaudry est en train d’échapper une avance qu’il croyait insurmontable à peine une heure plus tôt.

22 h 07

Retour au Manège militaire. L’ambiance de salon mortuaire qui y régnait se transforme soudainement en fiesta. On crie le nom du chef tout en regardant les écrans qui montrent sa remontée historique. TVA retire sa prédiction et Marie-Josée Savard n’est plus désignée gagnante. C’est l’extase chez les partisans de QFF. Ce qui relevait du miracle deux heures plus tôt devient possible, probable, puis de plus en plus vraisemblable.

22 h 42

Bruno Marchand passe en tête pour la première fois de la soirée. À l’Impérial, les journalistes se demandent si on se dirige vers une demande de recomptage judiciaire. On s’interroge à savoir si Marie-Josée Savard, que personne n’a vue depuis plus d’une heure, réagira ou non ce dimanche soir.
23 h 20

C’est finalement Patrice Drouin, directeur de campagne d’Équipe Marie-Josée Savard, qui prend la parole pour dire que la cheffe prendra le temps d’examiner les résultats serrés et non finaux. Il n’exclut pas qu’un recomptage soit demandé.
23 h 35

Tous les bulletins de vote sont désormais compilés. Bruno Marchand a une avance appréciable de 834 voix sur sa rivale. Lors de son discours, il affirme que « Québec avait besoin d’un renouveau ». Dans une pointe d’humour, il rappelle que le maire Labeaume soutenait – il y a à peine quelques mois – qu’il ne le connaissait même pas.
2 h 19 du matin (dans la nuit de dimanche à hier).
Malgré l’heure inusitée, QFF envoie un communiqué de presse, en pleine nuit, pour dire que le nouveau maire sera dans le Vieux-Québec dès 8 h du matin pour rencontrer les citoyens. Le ton du mandat est donné.
Lundi, 10 h 34
Un communiqué de presse d’Équipe Marie-Josée Savard reconnaît la victoire de Bruno Marchand, qui doit être assermenté dans les prochains jours pour occuper officiellement son poste. En cours de journée, Radio-Canada et TVA se sont excusées du cafouillage survenu dimanche soir et ont promis d’examiner la situation de près.
Bruno Marchand récoltait 1 % des intentions de vote il y a un an !
Le 11 novembre 2020, nous apprenions dans un sondage Léger-Le Journal qu’à peine 1 % des répondants jugeaient que le PDG de Centraide Québec et Chaudière-Appalaches, Bruno Marchand, ferait le meilleur maire pour Québec.

Interrogé par Le Journal, le principal intéressé a réagi ainsi : « J’ai été étonné que mon nom apparaisse dans ce sondage, même si des gens sérieux m’ont effectivement approché à ce sujet. Je suis vraiment honoré que des gens puissent avoir pensé à moi pour une telle position ». La suite appartient désormais à l’histoire politique de Québec.