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L'article provient de Le Journal de Québec
Société

Visite et excuses du pape: réactions mitigées des communautés autochtones

Une visite qui est un baume pour certains, alors que d’autres restent critiques

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Jean-Luc Lavallée, Pierre-Paul Biron, Catherine Bouchard, Dominique Lelièvre, Jérémy Bernier et Stéphanie Martin

2022-07-29T02:29:18Z
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Le Journal a recueilli un éventail très varié de réactions sur le terrain jeudi, à Sainte-Anne-de-Beaupré, principalement auprès des membres des Premières Nations qui ont vécu, chacun à leur façon, la visite historique du pape François. La bonne humeur régnait, mais pour plusieurs, les plaies sont encore vives et les excuses ne suffisent pas.

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Prête à pardonner

Photo Pierre-Paul Biron
Photo Pierre-Paul Biron

Pour Liliane Awashish, une survivante des pensionnats originaire d’Obedjiwan, la présence du pape devant les peuples autochtones représente encore plus que les paroles qu’il a pu prononcer.

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« Je n’avais pas d’attentes. J’accueille ce qui vient, ce qui est là », raconte la femme qui se disait heureuse de voir le pape puisqu’elle était hospitalisée aux soins intensifs il n’y a pas si longtemps et qu’elle a dû être opérée pour une tumeur du cerveau. « La vie ne tient qu’à un fil, j’en suis la preuve. [...] J’ai prié pour être ici et je suis là aujourd’hui. C’est la preuve que nous recevons ce que nous demandons lorsque nous croyons. » 

Deux aînées autochtones se saluant, jeudi, à la messe célébrée par le pape François à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré.
Deux aînées autochtones se saluant, jeudi, à la messe célébrée par le pape François à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré. Photo AFP

Arrachée à sa famille à l’âge de 13 ans, Mme Awashish dit aujourd’hui être en mesure de pardonner à ceux qui l’ont brisée et qui ont brisé sa famille. « La présence du pape aujourd’hui vient mettre un baume dans notre âme. C’est notre âme qui a été bafouée, et c’est un pas vers le pardon pour moi. J’ai toujours cru malgré tout ça. »

Aux Autochtones d’« écrire leur histoire »

Photo courtoisie
Photo courtoisie

Les derniers jours ont réveillé des souvenirs douloureux, mais ont aussi suscité de « l’espoir » au sein des groupes autochtones, selon Konrad Sioui, ancien grand chef de la nation huronne-wendate.

Il revient maintenant aux Autochtones d’« écrire [leur] histoire », a-t-il soutenu jeudi, peu avant le début de la messe à Sainte-Anne-de-Beaupré.

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« Ça ressasse des choses, a-t-il reconnu. Il y a beaucoup de peine, beaucoup de misère. On parle de femmes disparues, assassinées. On n’a pas parlé des suicides, on n’a pas parlé des abus sexuels, on n’a pas parlé de la violence sous toutes ses formes. Oui, c’est vrai, il faut l’admettre, mais à un moment donné, il faut se guérir aussi, et après ça, il faut se lancer dans la vie », a-t-il souligné.

Encore beaucoup de travail à faire

Dominique Lelièvre Dominique Lelievre / Le Journal de Quebec
Dominique Lelièvre Dominique Lelievre / Le Journal de Quebec

Venu du Nouveau-Brunswick en compagnie de survivants et d’aînés, Allan Polchies, chef de la communauté wolastoqiyik de Saint Mary’s, demande que l’Église catholique « soit tenue responsable pour ce sombre chapitre », en référence aux décennies d’abus dans les pensionnats autochtones. Or, le rôle du gouvernement fédéral ne doit pas non plus être oublié « juste parce que le pape est en ville », lance-t-il.

Selon lui, beaucoup de travail reste à faire dans le chantier de la réconciliation. « Il y avait 94 appels à l’action [dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation] et ils ont à peine été capables d’en accomplir une, en quelques années. C’est un long processus. »

Le pape attire également les athées

La messe papale a attiré de nombreux fidèles, mais également des curieux et des familles qui ont souhaité faire vivre « l’expérience d’une vie » en faisant rencontrer le pape à leurs jeunes enfants. D’autres avaient le désir de soutenir le Saint-Père dans sa mission de réconciliation.

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André Gauvin, un citoyen de Québec, précise d’entrée de jeu qu’il n’est ni croyant ni pratiquant, lorsque Le Journal a souhaité connaître ses impressions sur l’événement.

« C’est pour l’événement, c’est intéressant de voir les gens qui se ramassent ensemble », observe-t-il. 

Néanmoins, il s’est dit sensible à la cause des peuples autochtones, les principaux intéressés de ce « pèlerinage pénitentiel ».

« La nation des Autochtones est importante. Je le reconnais », poursuit M. Gauvin. 

À l’instar de nombreuses personnes qui étaient présentes sur les Plaines mercredi, il s’est dit également très surpris de la très petite foule présente à la basilique, jeudi.

Le veuf de Joyce Echaquan chemine

Photo Pierre-Paul Biron
Photo Pierre-Paul Biron

Le mari de Joyce Echaquan, Carol Dubé, a confié au Journal avoir tenu à être présent pour ce qu’il qualifie de « grande étape dans son deuil ». L’homme a perdu sa femme en septembre 2020 à l’hôpital de Joliette après qu’elle eut diffusé une troublante vidéo sur Facebook où l’on entend des employés l’insulter, notamment sur ses origines atikamekw.

« Ça vient mettre un baume. Je suis ici pour prier pour ma femme, mes enfants, mais aussi pour moi. Parce que ça vient brasser beaucoup d’émotions. C’est une autre partie de mon deuil aujourd’hui », raconte l’homme, ajoutant être sur le chemin du pardon, comme les Premières Nations doivent l’être envers l’Église pour les conséquences des pensionnats. 

« [La visite du pape] c’est gros pour la réconciliation, ce sera un générateur de la grande réconciliation et de la guérison », indique M. Dubé, venu de Manawan pour l’occasion.

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Deux fois plus d’appels à la ligne d’aide

La visite du pape a remué beaucoup d’émotions chez les membres des Premières Nations, qui ont été deux fois plus nombreux qu’à l’habitude à chercher du réconfort dans la ligne d’écoute qui leur est dévolue.

En janvier dernier, la Ligne d’écoute nationale des pensionnats indiens, que les Autochtones peuvent appeler pour obtenir un soutien immédiat et être aiguillés vers des services d’aide, recevait en moyenne 121 appels par jour. « Le volume d’appels a été beaucoup plus élevé cette semaine, soit 160 appels le 24 juillet, 277 appels le 25 juillet et 244 appels le 26 juillet », a indiqué par courriel Kyle Fournier, responsable des relations avec les médias pour Services aux Autochtones Canada. Ces demandes proviennent de partout au pays, indique le porte-parole.

Un long voyage pour guérir

Photo Jérémy Bernier
Photo Jérémy Bernier

Des Mohawks originaires de Los Angeles qui ont dû réapprendre leur propre culture après l’assimilation de leur grand-père dans un pensionnat autochtone ont tenu à assister aux excuses du pape pour amorcer leur processus de guérison. 

« C’était important pour nous d’assister à ses excuses en personne. Il reconnaît que [des sévices] sont survenus, ça signifie beaucoup pour nous et on avait besoin de l’entendre », a souligné Veronica Munoz.

Son grand-père a perdu sa culture et sa langue lorsqu’il a été forcé de rejoindre un pensionnat autochtone à Brandford, en Ontario, il y a plusieurs décennies. Ce n’est que très récemment que ses descendants ont pu renouer avec leurs origines. 

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« Les liens ont été tranchés entre l’Église catholique et les Autochtones, mais tranquillement, les relations s’améliorent. On est prêts à pardonner. Il y a du chemin à faire, mais on est sur la bonne voie », affirme à ses côtés Yolanda Munoz. Sur la photo, Julio, Veronica, Olivia et Yolanda Munoz.

Ils ont dit

« Ce que le pape avait à dire m’importe peu. Ce qui compte, c’est que nous sommes tous ici pour guérir de quelque chose qu’il a reconnu. Je suis très heureuse d’être témoin de tout cela. »

– Amanda Brooks-Drummond, Première Nation St. Mary’s au Nouveau-Brunswick

« Ça m’a vraiment fait de quoi de le voir tout près de moi. C’était vraiment intense et j’avais les larmes aux yeux tellement j’étais contente. »

– Edith Ottawa, Nation Atikamekw de Manawan

« Dans la culture autochtone, il y a beaucoup de respect pour les aînés. Je regarde le pape qui est un aîné, à 85 ans. J’ai été avec lui à chaque journée et j’ai vu qu’il a fait de grands efforts. »

– Mandy Gull-Masty, grande cheffe de la Nation Crie

« C’était une belle messe ancrée dans l’espérance. Mais il y a eu des petites lacunes. J’aurais aimé qu’il se tourne vers les survivants puis qu’il leur dise : “Merci d’être ici.” »

– Roger Twance, Ojibwé et fondateur de Sainte Kateri au centre-ville

« C’est un pas vers la guérison, mais ce n’est pas réglé. Il y en a encore qui ont du chemin à faire et qui ne se sont pas présentés ici parce qu’ils ne sont pas prêts. »

– Guy Niquay, Nation Atikamekw de Manawan

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