Qui a peur des drag-queens? Populaires au Québec, elles divisent dans certains états américains

Bruno Lapointe
Vénérées par certains, honnies par d’autres, les drag-queens n’ont jamais autant fait couler d’encre. Pendant que certains États américains tentent de bannir – voire de criminaliser – leur art, nos reines locales se considèrent comme chanceuses, toujours en sécurité dans la Belle Province. «Le Québec est le plus bel endroit au monde pour faire de la drag», déclare Gisèle Lullaby.
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Gisèle Lullaby parle en connaissance de cause. La grande gagnante de Canada’s Drag Race a fait le tour de la planète depuis son couronnement, en septembre 2022. Et le constat s’est imposé de lui-même: sa terre natale a «une bonne longueur d’avance» sur certains recoins du globe où sexisme, homophobie, grossophobie, misogynie et transphobie sont monnaie courante.
«Les Québécois ont une superbe ouverture d’esprit. Évidemment, rien n’est parfait, on a encore du chemin à faire. Mais les mentalités sont beaucoup plus avancées ici», explique la drag-queen.
Pas besoin d’aller bien loin pour vérifier ses dires : il suffit de traverser la frontière américaine pour noter une différence majeure.
Le Tennessee est en effet devenu, en mars dernier, le premier État à légiférer contre les drag-queens, bannissant leurs performances dans les lieux publics ou tout autre endroit où pourraient se trouver des mineurs. Pas moins de 13 autres États lui ont ensuite emboîté le pas les semaines suivantes.

Dans la foulée, le gouverneur de la Floride – et candidat potentiel à la présidentielle de 2024 –, Ron DeSantis, s’est imposé comme figure de proue de ce mouvement, signant en mai dernier l’entrée en vigueur d’une telle loi à l’intérieur des frontières de son État.
Cocktails Molotov lancés en Ohio, graffitis en Alabama, alerte à la bombe dans le Kentucky, manifestations armées à travers le pays... l’association américaine GLAAD – entité défendant les droits des personnes LGBTQ – a répertorié plus de 160 cas de «menaces ou de manifestations» contre des «événements drag» depuis le début de l’année 2022.
Le cas Barbada
Le Québec n’est pas exempt de ce type de comportements discriminatoires. Un exemple ? Le cas de Barbada de Barbades vient aussitôt en tête. Un mouvement protestataire est né le printemps dernier, certains s’opposant fermement à ce que la drag-queen procède à la lecture d’un conte à des enfants d’âge primaire dans une bibliothèque de la Montérégie. La manifestation qui a suivi est, selon elle, indubitablement liée à la haine qui déferle au sud de la frontière américaine.

«C’est certain que tout ce qui se passe aux États-Unis, c’est inquiétant. Je ne peux pas croire qu’ils pensent mieux protéger les enfants en bannissant les drag-queens que les armes à feu», soupire Barbada de Barbades.
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«Les spectacles de drag sont – et doivent être – adaptés aux différents publics. Et ça, on le fait excessivement bien au Québec. C’est correct de ne pas aimer les spectacles de drag-queens, de critiquer les choses. Mais ça doit être fait dans le respect, et en connaissance de cause», ajoute-t-elle.
Spectacles adaptés
Car non, les drag-queens ne présentent pas le même matériel que dans les bars quand vient le temps de s’adresser à une bande de gamins. Oui, Barbada de Barbades est capable de faire des blagues salaces devant un public d’âge adulte réuni dans une salle de spectacle. Mais quand elle prend place sur le tabouret d’une bibliothèque, entourée de marmaille, c’est Le crocodile qui avait peur de l’eau ou encore La princesse et le poney qu’elle lit aux enfants, d’ailleurs tous présents avec leurs parents, et avec le consentement de ces derniers.

Une nuance que certains tendent à oublier, selon la drag-queen Michel Dorion, copropriétaire du bar Le Cocktail, à Montréal.
«Beaucoup de gens ne connaissent pas l’univers de la drag et les différents types de drag-queens qu’il y a. Dire que les drag-queens ne doivent pas donner de spectacles devant des mineurs, c’est comme dire que les humoristes ne devraient pas donner de spectacles devant des enfants parce que Mike Ward fait des blagues crues sur scène. Il y en a pour tous les goûts, et ils sont capables d’adapter leur matériel selon leur public», insiste-t-elle.
Le phénomène Drag Race
Il faut dire que les drag-queens prennent de plus en plus leur place, non seulement au sein de notre société, mais aussi de notre star-système québécois. Plusieurs associent au phénomène mondial RuPaul’s Drag Race – et ses multiples déclinaisons internationales – cette recrudescence de popularité auprès du grand public. Car elle est en effet bel et bien révolue, cette époque où les drag-queens étaient confinées au Village gai de Montréal et aux établissements destinés aux publics LGBTQ. Depuis quelques années, elles font scintiller leurs paillettes sur toutes les scènes, posant leurs escarpins sur les plateaux des plus populaires émissions télévisées.
Certains vont même jusqu’à dire que les drag-queens sont trop présentes sur nos écrans. Une affirmation que nos reines balaient unanimement du revers de la main.
«Est-ce qu’il y a trop de chanteurs? D’humoristes? De comédiens? Non. Les drag-queens sont des artistes à part entière, au même titre que ceux qu’on voit à la télévision tous les jours. On a notre place, nous aussi», estime Mona de Grenoble.