Réforme de la loi 101 : Québec rebutera-t-il la prochaine Kamala Harris?


Patrick Bellerose
Obliger leurs enfants à fréquenter les écoles francophones pourrait nuire au recrutement de cerveaux étrangers, comme la mère de la vice-présidente américaine Kamala Harris, plaide l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec.
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L’association était en commission parlementaire, jeudi, pour témoigner dans le cadre de la réforme de la Charte de la langue française.
Son directeur général, Russell Copeman, estime que la possibilité pour un parent d’envoyer son enfant à l’école en anglais contribue à attirer des travailleurs étrangers temporaires, même s’il reconnaît que ses informations sur le phénomène sont « anecdotiques ».
« Nous croyons qu’il est possible qu’il y aura des ressortissants étrangers qui sont invités à venir au Québec de façon temporaire – qui ont possiblement une connaissance de l’anglais, ou leurs enfants ont une connaissance de l’anglais, et très peu ou pas du tout de connaissance du français –, pour eux, inscrire leurs enfants dans les écoles anglaises de façon temporaire est un avantage et joue dans le calcul [à savoir] est-ce qu’ils vont venir ou pas », a commenté M. Copeman devant les journalistes.
L’exemple de Kamala Harris
En commission parlementaire, la députée libérale Hélène David a évoqué l’exemple de la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris. Celle-ci a étudié en anglais dans une école secondaire de Westmount dans les années 1970, lorsque sa mère a été invitée à travailler comme chercheuse à l’Université McGill.
Présentement, un travailleur étranger temporaire peut garder son enfant dans le réseau anglophone indéfiniment, jusqu’à ce qu’il fasse une demande pour s’établir au Québec de façon permanente. La réforme proposée par le ministre Simon Jolin-Barrette imposerait un maximum de trois ans, après lesquels l’enfant devrait rejoindre le réseau francophone.
La situation touche environ 4 108 étudiants qui bénéficient d’une autorisation temporaire, dont 926 pour des enfants de membres des Forces armées canadiennes.
M. Copeman estime qu’il s’agit d’une faible proportion sur les quelque 100 000 desservis par les membres de son association.
De son côté, le ministre Jolin-Barrette fait plutôt valoir que cette exception permet à de nouveaux arrivants d’intégrer le réseau anglophone de façon permanente s’ils y demeurent assez longtemps. À terme, leurs enfants pourront également bénéficier de ce droit acquis, s’ils démontrent un « parcours authentique » en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.
« C’est en contravention directe avec l’esprit même de la Charte de la langue française », dit le ministre.
Discriminatoire?
Par ailleurs, libéraux et caquistes ne s’entendent pas à savoir si le projet de loi 96 contient des mesures qui contreviennent aux chartes des droits et libertés.
« Vous venez de nous dire, dans votre présentation, maître Côté, d’une façon très étonnante, que le projet de loi 96 n’est pas discriminatoire. Ben oui, il l’est, dans une certaine mesure », a déclaré le député libéral Gaétan Barrette lors des audiences mercredi soir.
M. Barrette a rapidement ajouté qu’il appuie le projet de loi en raison du besoin de « franciser les allophones ». « Mais ne venez pas me dire que ce n’est pas discriminatoire en soi », a-t-il ajouté.
Le projet de loi 96 imposera notamment des quotas dans les cégeps anglophones, en plus d’exiger une prépondérance du français dans l’affichage.
Questionnée jeudi matin, la cheffe libérale Dominique Anglade a évité de dire si elle estime que la pièce législative brime les droits de certains individus. « Il y a plein de débats qui ont lieu en commission parlementaire, mais notre objectif, ce n'est pas d'avoir un projet de loi qui soit discriminatoire au bout du compte, ça, c'est certain », a-t-elle commenté.
Message en anglais
Le député libéral anglophone David Birnbaum, lui, a été moins circonspect. « C’est une question qui se pose », a-t-il déclaré. Le gouvernement, estime-t-il, a l’obligation « de réconcilier des objectifs tout à fait normaux et légitimes au Québec », comme la protection du français, avec le respect des droits de la communauté anglophone.
Du côté de la CAQ, le député Christopher Skeete, responsable des relations avec les Québécois d’expression anglaise, affirme plutôt que « beaucoup d’efforts sont déployés à l’intérieur de ce projet de loi, justement, pour éviter d’affecter négativement la communauté d’expression anglaise. »
Le ministre Jolin-Barrette a également pris un moment en commission parlementaire pour s’adresser aux auditeurs anglophones dans la langue de Shakespeare. « Il n’y a rien dans le projet de loi 96 qui affecte les droits de la communauté anglophone ici au Québec », a-t-il assuré.