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L'article provient de TVA Nouvelles

Québec fabrique ses profs: l’école au rabais, une aubaine pour les puissants

Photo ADOBE STOCK
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Anne-Emmanuelle Lejeune, ex-enseignante

2025-03-08T05:00:00Z
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Québec, février 2025. Le ministère de l’Éducation, dans un élan de générosité pragmatique, ouvre grand les portes du professorat: plus besoin d’expérience, plus besoin de cohérence entre le contrat et la formation, juste une vague «tolérance d’engagement» et hop, vous voilà enseignant qualifié!

Les facultés d’éducation s’insurgent, dénonçant une «baisse des standards». Pendant ce temps, Nancy Granger, professeure à Sherbrooke, hausse les épaules: «C’est pour la pénurie, on triera en route». Officiellement, c’est une solution d’urgence. Officieusement? Une aubaine pour façonner une école docile, taillée sur mesure pour un projet sociétal bien plus vaste.

Ceux qui pensent que c’est juste une question budgétaire n’ont rien compris. L’augmentation salariale obtenue après la grève de 2024 est illusoire: les tâches autrefois accomplies durant les journées pédagogiques sont maintenant intégrées à l’horaire régulier. Assemblées et réunions départementales doivent s’insérer dans le cycle de 9 jours, alourdissant considérablement la charge de travail, tandis que les journées pédagogiques se transforment en formations gouvernementales obligatoires.

Exécutants malléables

Ne soyons pas dupes: derrière ce bricolage éducatif, il y a plus qu’une simple réponse à un manque de main-d’œuvre. «L’école a été délibérément détruite, ils ont besoin de 10% de cadres et 90% de consommateurs», écrivait Jean-Paul Brighelli en 2014 dans Le Point. Une décennie plus tard, Québec semble avoir trouvé la recette parfaite pour appliquer ce principe.

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Pourquoi former des enseignants rigoureux, capables d’éveiller des esprits critiques, quand on peut produire en série des exécutants malléables, juste assez compétents pour transmettre des leçons prémâchées? Les élèves, eux, deviendront des enfants idéaux: citoyens votants, mais jamais pensants.

Imaginez la scène: un futur prof, embauché hier, suit une formation express entre deux pauses-café. Pas de bagage, pas de réflexion, juste un mode d’emploi pour débiter un programme calibré. Les élèves, biberonnés à cette pédagogie au rabais, apprendront à cocher les bonnes cases sans jamais se demander pourquoi. L’esprit critique? Un luxe superflu. Les dominants applaudissent: une génération docile, prête à consommer et à voter sans broncher, voilà le vrai jackpot.

Choix stratégique

Bien sûr, on nous vend ça avec de jolis mots. «Accessibilité», «flexibilité», «réponse à la crise». Mais grattez le vernis, et vous verrez une mécanique bien huilée: une école qui ne forme plus de libres-penseurs, mais les rouages d’un système. Les «premiers de la classe» sortiront toujours du lot, brillants dans leur capacité à réciter sans questionner. Les autres, ceux qui osent douter, seront vite taxés de «complotistes» – un mot fourre-tout bien pratique pour étouffer toute velléité de révolte intellectuelle.

Et pourtant, l’Histoire nous hurle l’évidence: les puissants ont toujours su manipuler les masses par l’éducation, ou plutôt par son absence. Québec ne fait pas exception. Assouplir les exigences, ce n’est pas juste combler une pénurie, c’est un choix stratégique. Une école au rabais pour un peuple au rabais, docilement aligné derrière des dirigeants qui jouent aux cons. Non, nos ministres ne sont pas incompétents. Ils suivent une feuille de route, dictée par des forces bien plus hautes que leurs jolis bureaux.

Il est temps de nous réveiller et de défendre une éducation digne de ce nom. Hannah Arendt aura le mot de la fin: «L’éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité».

Photo fournie par Anne-Emmanuelle Lejeune
Photo fournie par Anne-Emmanuelle Lejeune

Anne-Emmanuelle Lejeune
Ex-enseignante

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