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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

Que tout le monde y passe !

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Josée Boileau

2022-08-14T04:00:00Z
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Ce n’est pas un joli roman que celui-là ! On est dans les tripes, la sueur, le sang, sur fond de cruauté et de veulerie. Mais qui triomphera ?

L’époque est aux mises en garde, ce qui est souvent agaçant. D’où l’envie de sourciller devant l’« Avertissement de l’éditeur » qui précède le début de Territoire de trappe.

Il indique que le roman comporte des scènes de violence et des propos discriminatoires, sans lien avec ce que pensent auteurs et maison d’édition. Évidemment, n’est-ce pas de la fiction ? Et puis, on est fait fort !

Mais on s’aperçoit vite de la pertinence de l’avis : Territoire de trappe raconte une chasse sans morale et sans pitié. Ça tire, mutile, dépèce, agresse ; ça saigne, crie et gémit ; c’est cru et grossier. Aucun répit pour les sensibles !

Ce récit sanglant nous tient pourtant accrochés tant il met à nu la folie des hommes qui abusent de leurs privilèges et craignent de s’en voir dépouillés. À quoi répond la folie d’autres hommes qui crient vengeance sans se soucier des conséquences ?

Vengeance

L’histoire se déroule au début du XXe siècle, dans une région du nord du Québec si isolée qu’un maire peut y faire sa loi et le curé travestir celle de Dieu. Les villageois, eux, se tiennent cois. 

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En ce mois de décembre, des trappeurs rentrent fêter Noël ; Léon a hâte de retrouver sa famille. Il ne sait pas que sa femme est morte de consomption quelques mois plus tôt et que Rose, sa fille, s’est récemment noyée dans la Platte, un cours d’eau pourtant peu profond. 

Grâce au journal de Rose, il apprend que le maire a abusé d’elle et que tout le monde a fermé les yeux. La colère de Léon est immense : que les coupables soient punis, que le village devienne un tombeau !

Or Léon a un ennemi : Reth, avec qui il chassait il y a peu. Celui-ci décide de se ranger du côté du maire, histoire d’empocher une prime s’il livre Léon et ses alliés. Mais puisque chaque camp sait comment cibler et attaquer, l’affrontement durera longtemps.

On croise donc des brutes — ce qu’est Léon autant que les autres — et encore plus de lâches sur ce Territoire de trappe. Avec leur ton moqueur, Sébastien Gagnon et Michel Lemieux nous amènent peu à peu à nous poser la question : au fond, qui mérite de s’en sortir ?

Mais en filigrane il y a les femmes : après tout, n’est-ce pas pour leur honneur que cette grande tuerie se déploie ? En fait, il vaut mieux qu’elles comptent sur elles-mêmes pour sauver leur peau.

Ainsi d’Yvonne, la solide institutrice qui, « mariée à un homme mauvais, s’est faite veuve par ses propres moyens », et de Rita qui tire à l’arc et n’est dupe de personne en dépit de ses 16 ans.

Elles sont la lumière de ce roman cynique où finalement, la lucidité éclipse la dureté annoncée.

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