Quatre entrepreneurs à cœur ouvert sur les tarifs de Trump
Ils fourbissent leurs armes en vue d’une guerre commerciale qui pourrait faire mal


Louis Deschênes
Les dirigeants de quatre entreprises majeures, au cœur de la vitalité économique en Chaudière-Appalaches, s’expriment au sujet de cette guerre commerciale déclenchée par l’arrivée du président américain Donald Trump et ses menaces tarifaires qui ont provoqué un branle-bas de combat chez nos exportateurs.
• À lire aussi: Économie québécoise: 10 façons de faire un pied de nez à Trump
• À lire aussi: François Legault en Beauce: Québec déroule les dollars pour traverser la crise
Charles Dutil, PDG de Manac

Attention à la riposte des Canadiens
Afin d’éviter de tirer dans sa propre chaloupe, le PDG de Manac, Charles Dutil, invite à la prudence lorsque viendra le temps pour le Canada de répliquer aux droits de douane de Donald Trump.
Tout d’abord, l’influent homme d’affaires est d’avis que si les menaces tarifaires sont mises à exécution, il faudra riposter.
Toutefois, il faudra le faire de façon intelligente avec un plan stratégique bien élaboré. Pour ce faire, les entreprises manufacturières devraient être consultées.
Évidemment, si le gouvernement impose une taxe sur des matières comme l’aluminium ou le bois qui servent à la production des entreprises d’ici déjà fragilisées, c’est loin d’être gagnant, fait-il valoir.
Il faudrait plutôt cibler des matières ou des produits américains que nous avons déjà au pays.
Même s’il se dit partial puisqu’il fabrique ce produit, il cite en exemple les semi-remorques importées des États-Unis qui pourraient être taxées.
«C’est une ligne de produits idéale pour la réplique», dit-il, ajoutant que les voitures Tesla seraient une belle cible aussi.
Il explique qu’il existe plusieurs constructeurs de semi-remorques au pays, donc la clientèle canadienne ne serait pas touchée alors que les constructeurs américains perdraient des parts de marché.
«Ils sont presque tous dans des États républicains», lance M. Dutil pour indiquer que ces actions symboliques pourraient se rendre jusqu’au président Trump.
En contrepartie, taxer les produits d’alimentation en provenance des États-Unis punirait la classe moyenne québécoise.
«Tu ne veux pas que la petite famille qui fait son épicerie un mercredi après-midi subisse les contrecoups de cette guerre.»
Charles Tardif, vice-président de Maibec

«Je suis extrêmement inquiet»
L’improvisation du président Donald Trump préoccupe les gens d’affaires, confirme Charles Tardif, vice-président de Maibec, une entreprise manufacturière qui emploie 760 travailleurs.
«Je suis extrêmement inquiet», confie le dirigeant. «Je suis certain que c’est un bon négociateur [Donald Trump], mais dans la façon, est-ce qu’il ne va pas briser plus qu’il [ne] va bâtir?» se demande-t-il.
Si la hausse tarifaire est mise en place, des produits québécois risquent d’être remplacés par des imitations qui seraient de moins bonne qualité, mais aussi moins chères, prévient M. Tardif.
Le vice-président de l’entreprise spécialisée dans les systèmes de revêtement extérieur affirme que c’est la menace qui guette plusieurs fabricants du Québec.
«Le danger à moyen terme, c’est la substitution [...] Un produit avec une apparence similaire à moindre coût, mais pas le même bon produit de qualité.»
Cette situation rend nerveux plusieurs entrepreneurs qui, pour une courte période, pourraient absorber des pertes, à condition que l’activité économique reprenne où elle était avant.
Chez Maibec la diversification des produits et des marchés est un avantage, mentionne M. Tardif.
Malgré tout, certaines productions de l’entreprise, qui compte plusieurs usines dont une à Lévis et une autre à Saint-Pamphile, seraient gravement touchées par l’imposition de droits douaniers.
«Le revêtement en bardeaux de cèdre, c’est 90% d’exportation aux États-Unis. Donc, on est très exposés.»
En contrepartie, l'entreprise continue de tirer son épingle du jeu avec son lambris de bois en épinette qui répond à un marché canadien, tout comme le bois composite de la marque connue CanExel.
«Notre diversification de produits s’adressant au marché canadien devrait nous permettre de passer à travers cette période correctement», conclut Charles Tardif.
Louis Veilleux, PDG du Groupe Mundial

«Tempête de catégorie 3» qui pourrait dégénérer
Avec l’incertitude qui déstabilise le marché manufacturier, le PDG du Groupe Mundial, Louis Veilleux, perçoit la crise actuelle comme une «tempête de catégorie 3». Il a bon espoir de voir les entrepreneurs, qui en ont vu d’autres, passer à travers.
«Même s’il y a un sursis, l’incertitude provoque un ralentissement économique et plein d’entreprises sont touchées [...] Souvent, les marges de profit sont petites», constate-t-il.
L’homme d’affaires est bien conscient que si le président Trump s’entêtait à imposer des tarifs douaniers pendant plusieurs mois et que l’économie canadienne chutait, la tempête pourrait devenir un tsunami.
Le Groupe Mundial, qui est un regroupement d’entreprises manufacturières, peut miser sur une clientèle diversifiée parce que le marché de l’exportation vers les États-Unis représente à peine 10%.
«C’est important de dire à nos clients que même avec les tarifs de 25%, on ne serait pas chers», dit-il en faisant référence au taux de change qui est profitable aux acheteurs américains.
Il rappelle également que les périodes plus difficiles sont souvent un bon moment pour investir dans la formation et dans les équipements, pour la relance économique.
«Quand ça va reprendre, on va l’avoir sur la gueule. Il faut être prêts.»
Julien Veilleux, président de Rotobec

Créer des emplois... aux États-Unis
Le président de l’entreprise Rotobec, Julien Veilleux, se désole juste à penser que l’actuelle guerre commerciale qui se dessine le poussera à créer des emplois... aux États-Unis.
Conscient de l’impact que les usines peuvent avoir dans les plus petites communautés comme Sainte-Justine en Chaudière-Appalaches, M. Veilleux préfère donner du travail aux gens d’ici.
«Je vais créer des emplois aux États-Unis et non au Québec. C’est ça, l’impact. Et à long terme, ça serait majeur», affirme l’homme d’affaires qui devrait augmenter considérablement la production dans ses installations américaines, s’il y avait des droits de 25% pendant une longue période.
Même s’il fallait s’y attendre avec l’élection du nouveau président, Julien Veilleux admet que le conflit tarifaire perturbe beaucoup la région.
«On l’entend en parlant avec les gens [d’affaires], c’est un gros coup», dit-il.
En raison d’un marché diversifié, l’entrepreneur ne prévoit pas de licenciements à court terme dans son entreprise.
Rotobec fait 65% de son chiffre d’affaires aux États-Unis, mais pour les usines du Québec, le taux d’exportation baisse à 35%.
Même s’il a un plan de match bien précis, M. Veilleux conclut en disant que la pire chose serait que cette guerre, si elle ne se règle pas rapidement, provoque une récession.
À ce moment-là, c’est l’ensemble de l’économie canadienne qui serait secouée.
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire?
Écrivez-nous à l'adresse ou appelez-nous directement au 1 800-63SCOOP.