La maladie de Lyme est encore incomprise et fait de plus en plus de victimes
Attention: maladies émergentes, un grand dossier


Roxane Trudel
Souffrir parce que notre mal est méconnu de la médecine
Plusieurs patients atteints de la maladie de Lyme subissent les effets dévastateurs d’un système médical qui reconnaît mal leurs souffrances puisque le Québec accuse un retard dans sa compréhension de ce mal, déplorent des experts.
Encore aujourd’hui, «on a un portrait seulement partiel de la maladie. Il y a un paquet de gens qui souffrent et qui ne sont pas pris en charge adéquatement, parce qu’on manque de connaissances. Les protocoles pour administrer le traitement sont totalement inadéquats», déplore Carl Dubois, de l’Association québécoise de la maladie de Lyme.
Fièvre, maux de tête, fatigue, douleurs musculaires et articulaires : il est difficile, au premier abord, de mettre le doigt sur la cause de ces symptômes qui peuvent s’apparenter à plusieurs maladies.
Pourtant, mis à part la COVID-19, il s’agit de la maladie avec la plus grande courbe de croissance au Québec depuis son arrivée sur le territoire en 2007. Cette maladie se transmet par la morsure d’une tique à pattes noires.
Le fond du baril
Sauf qu’à force d’attendre le diagnostic pour être traités, les patients présentent d’autres symptômes, plus lourds, qui s’ajoutent à la liste, au point où la vie de plusieurs, qui sont mal diagnostiqués, devient un enfer (voir les encadrés).
«C’est inquiétant parce que c’est clair qu’avec le réchauffement climatique, l’incidence de la tique au Québec ne va qu’augmenter», poursuit Carl Dubois.
Le Journal expliquait hier que les risques de contracter de nouvelles maladies augmenteront à l’avenir, en raison du climat. La maladie de Lyme illustre bien les ravages que peut provoquer l’arrivée au Québec d’une bactérie méconnue de notre système de santé.
Pour pallier le problème, il faut sensibiliser la population et les médecins à la présence de la tique, explique Catherine Bouchard, vétérinaire épidémiologiste spécialisée dans la maladie de Lyme.
«C’est beaucoup par la surveillance et la formation continue auprès des professionnels de la santé [qu’il faut s’améliorer], pour qu’ils aient la suspicion suffisante pour ajuster leurs tests», indique-t-elle.
On doit faire mieux
La maladie divise les professionnels de la santé, car certains ne reconnaissent pas l’existence de la «Lyme chronique», une version de la maladie qui perdure dans le temps.
Le Dr Guy Boivin, médecin microbiologiste infectiologue et chercheur au CHUL, est d’avis qu’il s’agit d’une «réalité qu’on ne peut nier, mais qu’on n’est pas capable de bien expliquer pour l’instant».
«Il faut investir [en recherche] pour des maladies comme Lyme parce que de plus en plus de gens vont être infectés. Il nous faut aussi une ouverture d’esprit», dit-il.
L’errance médicale subie par les patients soulève une question : si la maladie de Lyme peut passer aussi inaperçue, en existe-t-il d’autres qui passent sous les radars?
—Texte d'Elizabeth Ménard, Agence QMI
Une quinquagénaire presque paralysée par la maladie
Au pire de la maladie de Lyme, Louise Rosa, 58 ans, s’est retrouvée avec les jambes et les mains paralysées.

La mère de famille de Labelle, dans les Laurentides, parle au passé lorsqu’elle raconte à quel point elle était une personne active, qui adorait le sport et le plein air.
Elle s’entraînait même six fois par semaine, dit-elle avec une pointe de nostalgie dans la voix.
Mais tout a basculé en 2014 après un voyage en République dominicaine, où un insecte l’a piquée au pied.
«J’ai été très très très malade. Beaucoup de fièvre, des vomissements, des problèmes gastro-intestinaux, des migraines, de la paralysie. Les deux jambes me lâchaient, j’avais de la difficulté à marcher», relate-t-elle.
Au fil du temps, ses symptômes se sont aggravés, jusqu’à devoir quitter son emploi de secrétaire en mai 2016 parce que ses mains ont commencé à être paralysées à leur tour.
«J’allais de plus en plus mal. Au stade où j’en étais, mon conjoint devait couper la nourriture dans mon assiette. J’étais très limitée au niveau physique», poursuit-elle.
Diagnostic passe-partout
Les hypothèses se sont enchaînées pour expliquer symptôme après symptôme, sans pour autant parvenir à trouver un remède pour la remettre sur pied.
À court d’idées, on lui a diagnostiqué une fibromyalgie, un diagnostic «passe-partout» pour donner un sens à ses douleurs, explique-t-elle.
C’est en regardant un reportage sur le calvaire de quatre Québécois à qui ça avait tout pris pour obtenir un diagnostic de maladie de Lyme que la quinquagénaire a eu la puce à l’oreille, en reconnaissant les symptômes.
«Je me disais : c’est moi. Tout ça, c’est moi», relate-t-elle.
Soulagement... puis inquiétude
Mais, le soulagement a rapidement fait place à l’inquiétude. «Qu’est-ce que je vais faire?» souffle-t-elle au bout du fil.
Ses tests pour la maladie de Lyme sont revenus négatifs au Québec, positifs aux États-Unis. Heureusement pour elle, son médecin d’ici a reconnu ses symptômes en 2017 et a accepté de lui prescrire les médicaments suggérés par le professionnel de la santé rencontré de l’autre côté de la frontière.
À 18 000 $ par an, elle a cependant dû faire une faillite personnelle pour se soigner. Après seulement trois mois, la mère de famille a repris du poil de la bête, même si elle n’est toujours pas sortie du bois plusieurs années plus tard.
Envoyé au tapis, à 14 ans seulement

Malgré son jeune âge, Louis-Philippe Collin a été terrassé par la maladie de Lyme qu’il a contractée à l’âge de 14 ans, probablement au chalet de ses parents ou à celui d’un ami.
«Ça faisait vraiment mal. C’est comme si un dix-roues m’était passé sur le corps. Il y a des matins où j’avais de la misère à sortir de mon lit», relate-t-il.
Terre à bois, cabane à sucre familiale, quatre-roues, chasse : le jeune homme actif de Lévis passait le plus clair de son temps en forêt.
Pourtant, du jour au lendemain, la vie de l’adolescent a basculé, tandis qu’il s’est mis à ressentir de grosses douleurs dans le dos, le cou, puis dans les jambes.
Diagnostic erroné après diagnostic erroné, le cœur de sa mère, Julie Deschênes, se serrait davantage. Le jeune homme a passé 18 mois dans le brouillard.
«Tous les mois, il faisait une nouvelle crise. Les nouvelles douleurs s’ajoutaient à celles qu’il avait déjà. À un moment donné, ça a été des maux de jambe. Il avait de la difficulté à se lever», se rappelle la maman.
Cancer, leucémie, arthrite juvénile, sclérose en plaques : chaque fois qu’un médecin suggérait une nouvelle piste à creuser, Mme Deschênes retenait ses larmes, pour ne pas pleurer devant son fils.
Peur de l’avenir
«En tant que mère, entendre ces mots-là...», lance-t-elle, incapable d’en dire plus. «On ne voulait pas imaginer le pire, mais on avait peur de l’avenir.»
Tous les matins, son cœur de maman repartait au moment où elle l'entendait descendre de son lit. «Ouf, il est encore en vie», soupirait-elle chaque fois.
Une douzaine de traitements plus tard, rien n’avait changé dans l’état de son fils, il avait même empiré.
Les médecins n’avaient pas envisagé sérieusement l’avenue de la maladie de Lyme avant que la mère prenne les choses en main pour que ses prises de sang soient envoyées en Allemagne pour être testées.
«Une des médecins nous a quasiment ri dans la face, se rappelle Louis-Philippe Collin, choqué. Il faut arrêter de croire que ça ne se peut pas, que ça n’existe pas.»
Retrouver sa vie d’avant
Il n’a fallu que trois mois de traitements par antibiotiques pour qu’il commence à retrouver sa vie d’avant.
Aujourd’hui âgé de 19 ans, le jeune homme a encore quelques douleurs, mais rien de comparable à l’enfer qu’il a vécu pendant 18 mois.
Il a accepté de raconter son histoire parce qu’il voudrait que la maladie soit mieux reconnue par les médecins, pour éviter que d’autres aient à subir un parcours similaire.
«Il faut que ça bouge. Il commence à y en avoir de plus en plus. On a dépassé la question de la région endémique ou non. On a besoin d’une ouverture d’esprit des médecins. Il faut arrêter de dire que ça n’existe pas», conclut sa mère.
Au-delà de la morsure en forme de cible rouge qu’on lui associe souvent, la maladie de Lyme recèle une collection de symptômes.
- La piqûre ne prend pas toujours l’aspect d’une cible.
- Le risque de contracter la maladie de Lyme est plus élevé en été, mais il est présent tout au long de l’année.
- La tique est maintenant présente dans l’ensemble des régions du Québec.
- Après une piqûre de tique, même en ayant reçu le traitement préventif, il est quand même possible de développer la maladie.
Une bataille de 20 ans contre la maladie de Lyme
Un combat qui a finalement eu raison de la mère de famille de 43 ans

Aux prises avec la maladie de Lyme depuis une vingtaine d’années, Joanne Lévesque voulait guérir, relate son conjoint, Yanick Bissonnette, la gorge nouée.
La mère de famille de 43 ans à bout de souffle s’est finalement enlevé la vie en juin dernier.
«Le pire, c’est quand tu es malade et que tu dois te battre pour te faire soigner. Tu te sens abandonné. Joanne n’avait plus l’énergie pour se battre», poursuit-il, une profonde tristesse dans la voix.
Les deux amoureux se connaissaient depuis plus de 12 ans, mais s’étaient perdus de vue. Ils avaient reconnecté dans les dernières années et étaient fiancés depuis peu.
Enfin...
Après des années d’errance médicale à cumuler les diagnostics bidon de fibromyalgie, de fatigue et de douleur chronique, Joanne Lévesque a reçu un diagnostic de maladie de Lyme il y a un peu plus de deux ans.
Elle était traitée aux antibiotiques depuis six mois quand elle a décidé de mettre un terme à ses souffrances.
«Ce sont des années perdues qui ont permis à la bactérie de gagner du terrain, croit M. Bissonnette. Si elle avait eu son traitement il y a 10 ans, elle aurait eu toutes les chances de s’en tirer.»
Non fonctionnelle
Vers la fin de son combat, les douleurs étaient telles, que la quadragénaire peinait à sortir de son lit. Ça lui prenait tout pour manger ou prendre une simple marche.
Le Journal a pu visionner des vidéos crève-cœur de Joanne Lévesque, amaigrie et exténuée par la maladie.
«Il y a des soirs où je revenais de travailler et elle n’avait pas encore quitté le lit. Je la prenais et l’amenais sur le canapé pour changer le mal de place. C’est terrible comme sentiment, on se sent impuissant», soupire-t-il.
Lors d’une période où elle semblait prendre du mieux, Joanne Lévesque a écrit un livre, Folle... Ou malade de Lyme, pour parler de la douleur et des effets de l’errance médicale sur la santé mentale.
«Quand on souffre à longueur de journée, c’est sûr que le mental est affecté. Elle était tellement triste. Elle ne pouvait plus rien faire», poursuit-il.
Il espère que l’histoire de sa conjointe encouragera le Québec à faire mieux, notamment en ouvrant des cliniques spécialisées dans la maladie de Lyme, où les patients pourraient être redirigés vers des spécialistes.
Dérèglement climatique responsable
Katherine Turgeon fait partie des 66 personnes qui ont contracté la maladie de Lyme au Québec en 2014. Depuis, le nombre de cas de cette infection liée aux changements climatiques a plus que triplé.

Maux de tête, fatigue, douleurs musculaires ; Katherine Turgeon venait de donner naissance à son sixième enfant et croyait vivre des symptômes normaux de post-partum jusqu’à ce qu’elle commence à faire de la fièvre et à ressentir une raideur à la nuque.
«Je me suis présentée aux urgences. Quand je suis arrivée, j’arrivais à peine à marcher, se souvient-elle. J’avais de la misère à me tenir debout, j’avais une migraine tellement forte, je n’arrivais plus à rien», rapporte la femme qui vivait à Roxton Falls, en Montérégie, à l’époque.
Après de multiples tests, le diagnostic est tombé : elle avait été infectée par la bactérie Borrelia Burgdorferi, qui cause la maladie de Lyme, à la suite de la morsure d’une tique qu’elle n’a jamais vue.
«Avant, les tiques étaient vraiment plus au sud, il y en avait beaucoup aux États-Unis. Le climat se réchauffe, donc les tiques ont tendance à migrer vers le nord», explique la mère de famille, étudiante en environnement.
«Si le climat était normal, les tiques n’auraient pas pu migrer parce qu’elles n’auraient pas eu la température adéquate.»
La faute aux souris
Les tiques ont voyagé vers le Québec en s’agrippant à des souris à pattes blanches, porteuses de la bactérie, provenant à l’origine des États-Unis où la maladie a été signalée pour la première fois.
«Même si ce n’est pas l’impact le plus important en termes de cas ou de fardeau de la maladie, c’est quand même un impact vraiment très visible des changements climatiques sur une échelle humaine», souligne le chef médical de l’équipe de santé environnementale à la Direction de la santé publique de Montréal, le Dr David Kaiser.
Les tiques progressent vers le nord de 35 km à 55 km par année, selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
«D’ici 2050, on peut s’attendre à ce que les conditions propices à la transmission de cette maladie-là, c’est-à-dire les souris qui portent la bactérie, soient rendues en Abitibi», précise le Dr Kaiser.
Meilleures journées
«Après un mois d’antibiotiques, ils m’ont considérée comme guérie. Par contre, c’est sûr que j’ai continué à avoir des symptômes», mentionne-t-elle.
Troubles de concentration et d’élocution, douleurs musculaires et articulaires, fatigue, œdèmes : au début, elle ressentait ces symptômes fréquemment. Maintenant, ils sont de plus en plus rares.
«Je n’ai presque plus de mauvaises journées», dit-elle, s’estimant chanceuse, puisque certaines victimes de cette infection semblent en garder des séquelles chroniques.
—Texte d'Elizabeth Ménard, Agence QMI