Publicité
L'article provient de Le Journal de Québec
Culture

Amélie Nothomb : «Quand j’atteins mon écriture, je vole»

Photo fournie par Jean-Baptiste Mondino
Partager
Photo portrait de Marie-France Bornais

Marie-France Bornais

2023-08-27T04:00:00Z
Partager

Avec sa manière unique de raconter, de décrire, d’analyser, de créer des liens, la formidable Amélie Nothomb explore cette fois l’extraordinaire pouvoir des oiseaux dans son nouveau roman, Psychopompe. Au fil des pages, elle révèle des traumas et la longue maladie dont elle fut atteinte, parle de ses années de jeunesse difficiles, du Japon, de son père, mais aussi de ce qui permet de se transformer, de s’élever, de passer de la mort à la vie. Pour elle, ce fut l’écriture. Car « écrire, c’est voler ».

Dans Psychopompe, Amélie Nothomb décrit des passages à vide, un trauma survenu au Bangladesh, l’apparition de l’anorexie, les affres d’une longue maladie qui a failli lui ôter la vie et les clefs qui lui ont permis de remonter à la surface. 

Les oiseaux, qui s’élancent là où il n’y a rien, l’ont inspirée. 

« Il fallait tout recommencer de zéro. Je ne demandais que cela, sans pour autant savoir où situer le zéro. Je me cassais la tête avec cette question », écrit-elle.

Message ailé

Au cours de ses lectures, alors qu’elle n’avait que 13 ans, elle découvrit qu’Hermès, « le dieu messager aux pieds ailés pouvait être qualifié de psychopompe ». Elle explique : « Le psychopompe était celui qui accompagnait les âmes des morts dans leur voyage ». La colombe est d’ailleurs, dans l’iconographie chrétienne, l’oiseau psychopompe qui symbolise le Saint-Esprit.

Publicité

L’élément déclencheur pour l’écriture fut, écrit-elle en entrevue par courriel, « la prise de conscience qu’après avoir écrit Soif (le fils), puis Premier sang (le père), appelait un livre sur le Saint-Esprit. »

C’est la première fois qu’elle parle autant d’oiseaux dans un roman, même si elle l’avait un peu fait dans Riquet à la houppe

« Être obsédée par les oiseaux depuis si longtemps m’a donné envie d’écrire sur eux. » Aujourd’hui, son rêve de s’envoler se manifeste « en écrivant ».

« Je ne suggère pas que me lire soit un exercice d’altitude, je sais que quand j’atteins mon écriture, je vole. »

Photo fournie par les Éditions Albin Michel
Photo fournie par les Éditions Albin Michel

En cours d’écriture, Amélie Nothomb était dans un état d’esprit « aviaire », assure-t-elle, « en alerte, regardant le monde latéralement ». 

Elle est totalement passionnée par la beauté, l’intelligence, le chant des oiseaux. 

« Même le plus ravissant des colibris est une divinité puissante et non une mignonne petite chose. »

Dans Psychopompe, Amélie Nothomb écrit que l’oiseau est la clef de son existence. Qu’est-ce que les gens gagneraient en observant davantage la race aviaire ? 

« Les gens y puiseraient une beauté, une grâce, une vitalité qui les métamorphoseraient. »

Elle écrit aussi que la contemplation perpétuelle d’un être fugitif lui a enseigné l’art d’aimer l’insaisissable. Une magnifique image qui évoque les estampes des grands maîtres japonais, qui ont magnifiquement rendu les oiseaux. 

« Les maîtres japonais ont l’art d’attraper une image sans avoir eu besoin qu’elle se fige. Leurs oiseaux sont aussi fugitifs qu’en vrai. »

Publicité

L’oiseau en soi

Dans le roman, l’écrivaine rappelle la nécessité de cultiver l’oiseau en soi, son oiseau-totem, en quelque sorte. Chaque personne a-t-elle donc un oiseau en elle ? 

« Certaines personnes n’ont pas d’oiseau en elles (Donald Trump n’en a pas) ! Pour cultiver l’oiseau en soi et découvrir son éventuel oiseau intérieur, il faut apprendre à se regarder latéralement. Trouver son oiseau intérieur peut aider à se supporter. »

Son amour inconditionnel des oiseaux, des langues anciennes et de la littérature l’a aidée à surmonter un trauma et les troubles de l’alimentation. L’écrivaine a frôlé la mort à l’adolescence. Certains passages du livre sont terrifiants. Qu’a-t-elle à dire aux jeunes qui traversent pareilles difficultés ?

« À chacun son chemin, mais je peux dire à ces jeunes qu’un salut existe, différent pour chacun. Ce qui m’a le plus aidée : m’autoriser à me tromper. »

  • Amélie Nothomb est née à Kobé, au Japon, en 1967.
  • Dès son premier roman, Hygiène de l’assassin, paru en 1992, elle s’est imposée dans le milieu littéraire.
  • En 1999, elle a obtenu le Grand Prix de l’Académie française avec Stupeur et tremblement.
  • Elle a obtenu le prix Renaudot en 2021 avec Premier sang.

EXTRAIT

« Le marchand de tissus vit passer un vol de grues blanches. Émerveillé par leur beauté, il pensa qu’il rêverait de découvrir une étoffe d’une splendeur comparable à leur plumage.

De retour à sa boutique, il reçut la visite d’une cliente mystérieuse. Il s’agissait d’une jeune fille d’une beauté sans précédent. Sa longue chevelure noire était lisse, sa peau étincelait de blancheur, le bout de ses lèvres portait ce trait de rouge qui signale le haut lignage. Cette noblesse trouvait sa confirmation dans les manches de son kimono, qui traînaient jusqu’au sol. L’habit en question arborait le blanc rare des familles élevées. »

Publicité
Publicité