PwC commandite l’évitement fiscal
Le géant britannique estime que les contribuables «ont le droit de planifier leurs affaires fiscales»

Francis Halin
Des experts en fiscalité dénoncent le rôle joué par de grandes firmes comptables comme PwC, qui vient de commanditer un événement virtuel dans le paradis fiscal de Guernesey en pleine crise sanitaire.
« Le système de santé est sous-financé parce que l’État n’est pas allé chercher les fonds dont il a besoin. C’est clair. Ce n’est pas de la démagogie », dénonce au Journal Alain Deneault, auteur de Paradis fiscaux : la filière canadienne.
D’après lui, les firmes comptables mondiales des Big Four (EY, Deloitte, PwC et KPMG) connaissent bien le soleil chaud des paradis fiscaux.
En plus de brasser parfois des affaires avec des clients là-bas, certaines firmes vont aujourd’hui jusqu’à commanditer des événements dans ces juridictions.
En novembre dernier, PwC Channel Islands, une branche de la firme mondiale PwC, a commandité un événement virtuel, qui fait la promotion de Guernesey, où « la plupart des entreprises paient un taux d’imposition standard de 0 % », mentionne-t-on dans une vidéo promotionnelle.
Au menu, des séances d’informations « sur la création et la gestion d’une entreprise à Guernesey », offertes par Locate Guernsey, une organisation qui n’a pas répondu aux questions du Journal.
« Le droit de planifier »
Quand Le Journal a demandé à PwC combien elle avait offert pour commanditer l’événement et si elle était à la recherche de clients pour ce paradis fiscal, sa branche locale, PwC Canada, a défendu son approche.
« PwC Canada estime que les contribuables ont le droit de planifier leurs affaires fiscales à la lumière des décisions commerciales qu’ils prennent, à condition qu’ils agissent dans le cadre des lois applicables », a expliqué Julie Ibrahim, première directrice, relations publiques, PwC Canada. D’après la firme d’audit, « les contribuables devraient pouvoir accéder à des conseils indépendants sur leur situation fiscale ».
« Pour aider nos clients et nos gens à prendre des décisions éclairées en matière fiscale, en tenant compte des considérations pertinentes, les cabinets membres du réseau mondial de PwC agissent conformément à notre Code de conduite fiscal mondial », a ajouté Julie Ibrahim.
4,4 M$ de contrats publics
Ces cinq dernières années, PwC (PricewaterhouseCoopers inc.) a obtenu plus de 4,4 millions $ de contrats publics de toutes sortes de ministères et organismes québécois.
« Pourquoi donner des contrats à PwC ? Pourrait-on en octroyer à des entreprises qui font leur juste part ? » se demande Franck Jovanovic, professeur à l’École des sciences de l’administration de la TÉLUQ.
« La firme profite du cadre législatif et réglementaire, qui lui permet d’orchestrer le transfert artificiel d’actifs dans des législations où le taux d’imposition est nul ou quasi nul », déplore à son tour Alain Deneault.
Alors que le Québec est paralysé par son système de santé à bout de ressources, de grands cabinets comme PwC pourraient nuire aux efforts du gouvernement, qui a soif d’argent pour son système public, selon lui.
« On dit bénéficier de quelque chose d’instauré par l’État, mais ce que l’on ne dit pas, c’est que l’on fait tout pour que l’État aménage les choses pour que l’on en profite comme on le fait », avance Alain Deneault.
Une vision partagée par Franck Jovanovic, à la TÉLUQ. « Les cabinets d’audit d’aujourd’hui, ce sont eux qui conseillent les gouvernements pour écrire les lois fiscales parce que souvent les États n’ont pas assez d’argent pour se payer des fiscalistes pour les rédiger », analyse-t-il.
« Les Big Four conseillent les gouvernements et vendent ensuite leurs failles à leurs clients. Ils commercialisent les failles à leurs clients », va-t-il jusqu’à dire.
Vendredi, le cabinet du ministre des Finances, Eric Girard, n’a pas voulu se mouiller sur le cas précis de PwC, en disant lutter contre l’évasion fiscale.
« Depuis la création d’une escouade de lutte à l’évasion fiscale en 2017, les efforts de Revenu Québec (RQ) ont permis de récupérer un total de 2 milliards $. Les équipes de RQ travaillent également en étroite collaboration avec l’Agence du revenu du Canada afin qu’il y ait un meilleur partage d’information », a-t-on indiqué.
KPMG au soleil
En outre, mercredi dernier, un autre cabinet du Big Four, KPMG, a vendu certaines de ses activités des îles Caïmans et des îles Vierges britanniques à la firme new-yorkaise Teneo, qui a des lobbyistes actifs au Québec.
« Nous ne donnons pas de conseils en matière de fiscalité et ne conseillons pas aux clients de “délocaliser leurs fonds” pour faire de l’évitement fiscal », a assuré au Journal un représentant de la firme interrogé sur la transaction.
Teneo a expliqué qu’elle aide des clients déjà en activités dans ces marchés en cas de faillite. « Cette transaction n’affecte pas nos activités au Québec et au Canada où nous n’offrons pas de services en restructuration », a-t-on affirmé.
Vendredi, KPMG Îles Caïmans n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.
– Avec la collaboration de Marie Christine Trottier et Martin Jolicoeur
► La Caisse de dépôt et placement du Québec a investi plus de 35 millions $ US dans des fonds enregistrés au Québec de la firme White Star Capital, active dans le paradis fiscal de Guernesey, et dans laquelle le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon a déjà été actionnaire.
Top 20 paradis fiscaux
- Îles Vierges britanniques
- Îles Caïmans
- Bermudes
- Pays-Bas
- Suisse
- Luxembourg
- 7. Hong Kong
- Jersey
- Singapour
- Émirats Arabes Unis
- Irlande
- Bahamas
- Royaume-Uni
- Chypre
- Maurice
- Belgique
- Guernesey
- France
- Chine
- Île de Man
Source : Tax Justice Network, Corporate Tax Haven Index – 2021
5 exemples de contrats obtenus en gré à gré par PwC
- Sûreté du Québec : 250 000 $
- Autorité régionale de transport métropolitain : 139 526,47 $
- Société de l’assurance automobile du Québec : 79 975 $
- Directeur des poursuites criminelles et pénales : 68 749,99 $
- Le Protecteur du citoyen : 30 000 $
Source : Système électronique d’appel d’offres du gouvernement du Québec