Prostitution: quand les filles sollicitent elles-mêmes les proxénètes
Des jeunes n’hésitent plus à prendre les devants et à solliciter directement un « pimp » pour «faire le shift»
Kathryne Lamontagne et Denis Therriault
Des filles attirées par une promesse d’argent rapide et facile n’hésitent plus à prendre les devants et à solliciter directement un proxénète afin de «faire le shift» pour lui.
«Ça, c’est clairement relié à la banalisation de l’industrie du sexe», peste Jenny-Laure Sully, coordonnatrice communautaire à la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES).

Ainsi, des filles «curieuses» de se lancer dans le travail du sexe, parce qu’elles ont été exposées à une image positive de l’industrie, peuvent en venir à approcher d’elles-mêmes des pimps. C’est notamment le cas de Rosalie (témoignage à lire demain), qui a contacté un proxénète alors qu’elle n’avait que... 13 ans.
«Elles pensent que si elles vont de l’avant, elles ont le contrôle. Alors qu’on sait très bien que ce n'est pas ça», précise la lieutenante Annie Bergeron, de l’Escouade intégrée de lutte contre le proxénétisme (EILP).

Un business
Une relation d’affaires, présentée comme égalitaire, peut alors s’installer entre la fille et son proxénète. Il s’agit de l’une des quatre portes d’entrée dans la prostitution, selon les recherches menées par l'expert René-André Brisebois, de l’Institut universitaire Jeunes en difficulté (voir ci-dessous).
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«Ça devient une nouvelle modalité pour accrocher certaines jeunes femmes. “T’as ton autonomie, ton indépendance, tu fais une partie des profits, moi je fais l’autre partie, je gère les clients, les emplacements. Toi tu fais les clients”», illustre-t-il.

Des jeunes hommes approchés sont clairement connus comme étant des pimps. D’autres, qui trempent souvent déjà dans la délinquance, n’envisageaient pas nécessairement de devenir proxénètes, mais ils peuvent se laisser tenter par l’idée, expose sa collègue Nathalie Gélinas.
«En voyant que la fille se porte volontaire, il n’a pas l’impression de faire quelque chose de mal», explique-t-elle.
Pas des victimes
Les filles qui basculent dans cette industrie pour affaires sont loin de se considérer comme des victimes. Elles estiment avoir fait un choix et semblent jouir d’une certaine immunité face aux conséquences potentielles du milieu, remarquent nos intervenants.

«Quand on rentre dans le décor d’une jeune fille qui ne se sent pas victime, c’est voué à l’échec. On n’arrivera pas, dans un court laps de temps, à lui faire voir qu’elle est exploitée», avance Marie-Manon Savard, responsable des enquêtes à la police de Québec (SPVQ), qui estime que ces jeunes filles sont souvent «difficiles d’approche».

Mais la notion d’égalité finit la plupart du temps par s’étioler.
«C’est éphémère. Au départ, on lui mentionne qu’elle va garder tous les gains, qu’on est là pour la sécurité, mais tantôt, elle va commencer à payer l’hôtel ou le Airbnb, les repas, sa sécurité. Finalement, elle va tout payer et n’aura plus le 50% qui lui avait été promis», analyse l’inspectrice Marie-Manon Savard, de la police de Québec.
«L’exploitation, c’est jamais équitable», renchérit la lieutenante Bergeron.
- Par amour: Le proxénète se présente comme un prince charmant auprès de sa proie, qu’il séduit et qu’il amène à se prostituer.
- Par amitié: Une fille, souvent déjà dans l’industrie du sexe, incite des amies à intégrer le milieu pour toutes sortes de raisons.
- Pour affaires: Un partenariat s’installe entre une fille et son proxénète, qui s’allient et se partagent les revenus.
- Par arnaque: On force quelqu’un à se prostituer à la suite d’un mensonge. Par exemple, un proxénète peut accueillir gratuitement une jeune en fugue et puis, après quelque temps, lui demander de faire des clients pour payer l’hébergement.