Projet de loi 106: ce ne sera plus «un patient, un médecin»

Patrick Bellerose
Les médecins de famille seront désormais payés pour la prise en charge de la population située sur leur territoire, plutôt qu’à l’acte. Mais cela signifie que vous pourriez aussi être dirigés vers un autre professionnel de la santé, après une évaluation de vos besoins.
Avec le projet de loi 106 déposé jeudi, Christian Dubé abat sa carte maîtresse dans la réorganisation de l’accès aux soins de santé.
«C’est la pierre angulaire, c’est la clé de voûte de toutes ces mesures-là qu’on a mises en place» depuis deux ans, a déclaré le ministre de la Santé en conférence de presse.

Un peu à l’image des écoles qui doivent accueillir les enfants du quartier, les citoyens seront désormais rattachés à un GMF, un CLSC ou tout autre «milieu de soins» local.
Un médecin ou une infirmière spécialisée sera également affecté à leur dossier afin d’assurer un suivi.
Pour avoir accès à des soins, il faudra toutefois contacter la clinique ou le Guichet d’accès à la première ligne, où un «filtre de pertinence» évaluera si vous devez voir un médecin, une infirmière, un pharmacien, un travailleur social ou un autre professionnel.

Le système est déjà testé dans près de 70 endroits au Québec et a permis de réduire d’environ 15% le nombre de rendez-vous avec un médecin.
La CAQ espère ainsi réussir une prise en charge de 100% des Québécois par un «milieu de soins», après avoir échoué à offrir l’accès à un médecin ou une superinfirmière pour tous en moins de 36 heures, comme promis en 2018.
Rémunération
Pour y arriver, le gouvernement Legault introduit le concept de capitation: 50% de la rémunération sera désormais liée à la prise en charge des usagers par un groupe de médecins.
Celui-ci devra atteindre certains objectifs, sans quoi sa rémunération globale sera amputée. Les médecins spécialistes devront aussi atteindre des indicateurs de performance, sous peine de pénalités (voir encadré).
Mais déjà, les fédérations syndicales dénoncent la réforme, affirmant que Québec cherche à court-circuiter les négociations en cours pour renouveler leurs ententes-cadres (voir autre texte).
Le premier ministre François Legault n’exclut d’ailleurs pas de faire adopter le projet de loi sous bâillon, avant la fin de la session.
Christian Dubé, lui, affirme que son gouvernement peut imposer un nouveau mode de rémunération, tout en négociant les conditions monétaires avec les fédérations syndicales.
Affrontement en vue
Chose certaine, la table est mise pour une confrontation entre Québec et les médecins.
François Legault a mis la barre haute, jeudi, en affirmant qu’il attend ce moment «depuis 23 ans».
«En 2002, quand j’étais ministre de la Santé, j’ai ouvert le premier groupe de médecine familiale et j’ai dit à cette époque-là que c’est une première étape, d’ouvrir des GMF. La deuxième étape, c’est de changer la façon dont on paye les médecins», a déclaré le premier ministre.
Depuis cette époque, «aucun gouvernement n’a eu le courage de changer la façon de payer les médecins», dit-il.
Le premier ministre aurait aimé s’y attaquer durant son premier mandat, mais a été freiné par la pandémie, dit-il. «Nous, on a le courage de le faire», assure François Legault.
Ce que Québec demande aux médecins
Omnipraticiens
Lier 25% de la rémunération à divers indicateurs de performance, tels que...
- Rendre disponibles 18 millions de plages de rendez-vous par année;
- Réaliser un pourcentage, non précisé, de consultations dans un délai de plus de trois jours, via le système de Santé Québec;
- Prendre en charge un certain nombre de patients se présentant aux services d’urgence dans un délai de 90 minutes;
- S’assurer que 95% des personnes admissibles sont affiliées à un milieu de pratique (clinique, CLSC, etc.);
- Destiner 30% des plages de rendez-vous au mécanisme d’accès à la première ligne mis en place par Santé Québec.
Spécialistes
Lier 25% de la rémunération à divers indicateurs de performance, tels que...
- Prendre en charge un certain pourcentage de patients se présentant à l’urgence dans un délai de 90 minutes;
- La durée moyenne de séjour à l’urgence n’excède pas le délai prévu;
- 99% des opérations chirurgicales sont effectuées dans un délai d’au plus 12 mois après la requête opératoire;
- 99% des interventions chirurgicales oncologiques sont effectuées dans un délai d’au plus 56 jours après la requête opératoire.
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