Projet de loi sur les projets «d’intérêt national»: pourquoi Carney est-il aussi pressé?

Raphaël Pirro
Mark Carney est prêt à utiliser le bâillon pour faire adopter son projet de loi C-5 sur les grands projets d’intérêt national, car il croit avoir l’appui de la population pour aller de l’avant rapidement... quitte à ce que cela revienne le hanter plus tard.
• À lire aussi: Mark Carney veut imposer le bâillon pour la loi sur les grands projets d’infrastructure
«Tout gouvernement est pressé en début de mandat. À attendre trop longtemps, il risque de tomber sur un os, parce que d’autres choses peuvent se passer et la fenêtre d’opportunité se referme rapidement», explique Geneviève Tellier, politologue à l’Université d’Ottawa.
Le projet de loi C-5 promet de faciliter grandement le processus d’approbation des grands projets d’infrastructure en accordant beaucoup moins d’importance aux consultations et en donnant au gouvernement beaucoup plus de pouvoir.
Ce projet de loi lui permettra notamment de se soustraire, en partie ou en tout, à une vingtaine de lois fédérales sur l’environnement ou sur les codes du travail entre autres.
Un bâillon démocratique?
Malgré la portée gigantesque de C-5, le gouvernement souhaite adopter un bâillon qui limiterait grandement les consultations et le travail des élus pour une adoption en seulement cinq jours, possiblement dès la semaine prochaine.

Le Bloc Québécois et le NPD s’y opposent fermement, mais les conservateurs pourraient faire pencher la balance en faveur des libéraux.
«Les règles le permettent, mais Dieu merci, les libéraux ne sont pas majoritaires», lance Alex Marland, expert en parlementarisme à l’Université Acadia. «Ultimement, ce n’est pas antidémocratique parce qu’il faudra l’appui d’une opposition. Mais est-ce que ça respecte l’esprit démocratique? Absolument pas.»
«Je suis convaincu que les Québécois n’ont pas voté pour ça», a commenté le chef du Bloc Québécois, Yves-François Blanchet.
De son côté, la professeure Tellier a «l’impression que les libéraux étirent l’élastique, font des tests pour voir jusqu’où ils pourront aller».
Les Canadiens d’accord... mais pas tous
Mark Carney n’est pas un politicien, mais un expert en finance qui a passé sa vie dans le secteur privé et parapublic. Considéré comme un «homme d’action», l’ancien banquier semble faire peu de cas du travail effectué dans les longs comités parlementaires et les consultations publiques, selon les deux experts.
Mais tout indique qu’il a les coudées franches: avec les pertes d’emploi un peu partout au pays et les élucubrations de Donald Trump, les Canadiens semblent prêts à lui donner le feu vert et à lui pardonner ses manières expéditives.
«Le danger, c’est qu’à vouloir aller trop vite, il y a peut-être des angles morts qu’on n’aura pas vus qui vont venir nous hanter plus tard», relève Mme Tellier. «Ne pas faire des consultations publiques en ce moment, quand les gens vont vraiment comprendre la portée de ce projet de loi, ils vont commencer à se poser de sérieuses questions.»
En Ontario, le gouvernement Ford a adopté une vaste réforme semblable à C-5 pour accélérer la réalisation des grands projets. Déjà, cette loi est accueillie sévèrement par les communautés autochtones de la province qui n’excluent pas le recours aux tribunaux.
Quelque chose de similaire pourrait attendre le gouvernement de M. Carney s’il tire un peu trop l’élastique.