Projet de loi 83: Monsieur Dubé, choisissez la collaboration et non la coercition

Dr Samuel Gareau-Lajoie, Médecin de famille
Si on m’avait imposé un service obligatoire de cinq ans à la fin de ma formation médicale, j’aurais sans doute envisagé de quitter le système public dès la fin de cette corvée. Par dépit, par frustration, par rejet d’un cadre qui me contraindrait par la force.
Pourtant, aujourd’hui, je suis dans ma huitième année de pratique comme médecin de famille au Québec, toujours dans le réseau public, et ce, sans qu’on ait eu besoin de m’y obliger. Je suis resté parce que j’aime mon travail, j’aime mes patients et parce que j’ai à cœur que notre réseau public redevienne une fierté nationale. Mais je me demande combien de jeunes médecins feront le même choix si on leur attache un boulet au pied avant même qu’ils ne commencent leurs premiers cours.
D’ailleurs, monsieur Dubé, vous-même avez quitté un poste public avant terme. En 2014, après avoir juré que vous termineriez votre mandat, cinq mois après avoir été élu, vous avez démissionné de votre poste de député.
Fuite
Devrait-on, par mesure de justice, obliger tous les élus à compléter leurs quatre ans de service avant d’envisager un autre poste? Devrait-on leur interdire de quitter pour le privé ou pour un autre rôle politique? Leur interdire de quitter leur poste pour aller en politique fédérale?
Comme nous le savons, un député a engendré des coûts énormes lors de l’élection qui l’a porté au pouvoir, et sa démission déclenche une élection partielle, entraînant à nouveau des dépenses considérables pour l’État.
Pourtant, personne ne remet en question le droit des élus de partir lorsqu’ils le jugent nécessaire. Si une telle contrainte vous avait été imposée, auriez-vous trouvé cela acceptable? Par ailleurs, c’est exactement ce que vous proposez pour la relève médicale.
L’idée d’imposer un service obligatoire aux nouveaux médecins ne fera qu’exacerber la fuite vers le privé et les autres provinces. Au mieux, elle la retardera temporairement, de cinq ans, avant de l’empirer gravement.
Contraintes
Une autre question se pose: combien anticipez-vous que coûteront aux contribuables les procédures juridiques qu’intentera, aussi probablement que légitimement, la FMRQ contre cette mesure devant les tribunaux?
Cette imposition viole des droits fondamentaux et votre gouvernement aura la tâche de prouver le contraire devant la justice. L’État devra donc défendre devant les tribunaux une loi discriminatoire, contestée par des médecins qui ne demandent qu’à pouvoir pratiquer dans des conditions acceptables. Des années de procédures, d’innombrables ressources juridiques mobilisées... pour quel résultat?
Plutôt que de chercher à imposer des contraintes et défendre celles-ci, pourquoi ne pas investir ces fonds dans des solutions qui donneraient envie aux jeunes médecins de rester dans le système public, plutôt que de s’y sentir piégés?
On manque cruellement de psychologues. Leur impose-t-on un service public obligatoire? On peine à recruter des avocats pour l’aide juridique. En force-t-on à y travailler? Non. Pourtant, lorsqu’il s’agit des médecins, on parle très rapidement de contraintes, de sanctions, de punitions. Il est temps d’arrêter de faire de nous les boucs émissaires des échecs du système de santé. Huit réformes, des compressions et des réorganisations incessantes, une bureaucratie toujours plus lourde: ce ne sont pas les médecins qui ont mis le réseau en crise, mais on voudrait nous en faire porter le poids.
Je n’ai jamais envisagé de quitter le système public. Mais aujourd’hui, à force de voir que vous traitez les médecins comme une commodité et imposez unilatéralement vos idées comme ce projet de loi, la fin des rendez-vous téléphoniques ou encore du GAP, je commence à y réfléchir. S’il vous plaît, choisissez la collaboration, pas la coercition.

Dr Samuel Gareau-Lajoie, médecin de famille