Procès d'un anesthésiste accusé d'empoisonnements: les victimes présumées racontent leur «calvaire»

AFP
Ils ont survécu à un arrêt cardiaque au bloc opératoire, dû à un empoisonnement. Huit ans après, deux des victimes présumées de l’anesthésiste-réanimateur Frédéric Péchier ont témoigné jeudi devant la justice française de leurs séquelles, de leurs questionnements, et de leur refus de s’apitoyer.
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Sandra Simard, qui avait 36 ans le jour du drame – survenu alors qu’elle avait été hospitalisée pour une simple opération du dos –, affirme aujourd’hui vivre «comme dans le corps d’une vieille personne».
«Je me suis endormie le 11 janvier [2017] au matin et je me suis réveillée le 16, intubée, attachée et perdue», a raconté avec douceur cette femme discrète aux longs cheveux auburn.
Les jours suivants sont «très traumatisants», «personne ne peut donner d’explication à mon arrêt cardiaque», se souvient-elle. Ses trois enfants viennent la voir à l’hôpital. «Dans mon délire paranoïaque, je leur ai dit au revoir comme si je ne les reverrais jamais. Ça a été la chose la plus difficile que j’aie eue à vivre», ajoute la témoin, dans le silence ému de la salle d’audience.
Finalement, un enquêteur annonce l’impensable: «Un produit toxique est passé dans mes veines».
Frédéric Péchier, qui n’était pas chargé de son anesthésie mais qui a participé à sa réanimation, sera interpellé pour ces faits en mars 2017. Il comparaît aujourd’hui devant les assises à Besançon, dans l’est de la France, pour 30 empoisonnements de patients, dont 12 mortels, entre 2008 et 2017, des faits dont il se dit innocent.
«Le mépris autant que la seringue»
Plus de huit ans après les faits, «je n’ai rien oublié de ces moments», affirme encore Mme Simard, évoquant «les hallucinations, la paranoïa, la peur, un sternum fracturé par un massage cardiaque...».
Désormais, «je vis comme dans le corps d’une vieille personne», poursuit la victime présumée, qui a été en arrêt maladie pendant deux ans et demi. Elle garde des «séquelles neurologiques», «d’importants problèmes de mémoire, de fatigue, d’intolérance au bruit».
«Toute ma vie a été remise en cause. Malgré tout, j’estime ne pas avoir le droit de me plaindre, parce que je suis en vie, contrairement à beaucoup d’autres personnes».
La quadragénaire, qui dit avoir respecté «la présomption d’innocence» pendant toute la procédure, ressent un «mépris» de l’accusé pour les victimes présumées. Et «le mépris blesse autant que la seringue qui vous empoisonne».
Lui succède à la barre celui qui se définit comme «le dernier de la liste» des 30 victimes présumées. Jean-Claude Gandon, 78 ans aujourd’hui, grand-père aux cheveux blancs coupés courts, refuse également de se «plaindre».
Le 20 janvier, soit neuf jours après l’arrêt cardiaque de Mme Simard, il est victime d’un empoisonnement aux anesthésiques locaux pendant une opération de la prostate. Il sera réanimé à la clinique.
C’est la seule victime présumée dont l’anesthésie est prise en charge directement par le docteur Péchier.
«Pilori médiatique»
Un « cas alibi », selon les enquêteurs, qui soupçonnent l’accusé d’avoir empoisonné son propre patient, pour ne pas apparaître comme le seul anesthésiste à ne pas avoir été visé par un acte malveillant, alors qu’une enquête pour empoisonnement avait été ouverte concernant Mme Simard.
«Tout ce qui m’intéresse maintenant, c’est de savoir ce qui s’est passé», souligne le retraité.
En fin d’après-midi, c’est au tour d’un ancien collègue de l’accusé de venir témoigner. Le Dr Sylvain Serri a même été son ami, mais Frédéric Péchier, qui a toujours clamé son innocence, l’a accusé pendant l’instruction d’être l’empoisonneur.
«J’ai subi un véritable pilori médiatique», commente l’intéressé devant la cour.
En 43 ans de pratique professionnelle, «c’est la première fois que je vois un accusé désigner une autre personne comme étant le criminel», fustige l’avocate générale Thérèse Brunisso.
Le fait que le Dr Serri ait eu «de multiples cas» d’empoisonnement parmi ses patients, «dont trois mortels», le «dédouane», alors que le Dr Péchier n’en a subi qu’un, «celui de M. Gandon», observe-t-elle.
L’accusé comparaît libre, mais risque la réclusion criminelle à perpétuité.
Le verdict est attendu le 19 décembre.