Préserver la mémoire familiale


Marie-France Bornais
Auteur du roman très remarqué Petite Madeleine, Philippe Lavalette s’est penché sur les secrets et les trésors de l’histoire familiale pour écrire Marchand de quatre-saisons, son nouvel opus. À la suite de la mort tragique de son père, le narrateur – qui est aussi cinéaste – se rend en France pour essayer de reconstituer la vie de cet homme à l’aide d’objets lui ayant appartenu.
Au commissariat, on lui remet une boîte de carton dans laquelle il trouve une lettre d’amour, une boucle de ceinture, un couteau de poche émoussé, un coquillage... Autant d’objets qui parleront ou resteront muets à jamais.
Patiemment, avec beaucoup de délicatesse et d’empathie, le narrateur tente de faire des liens entre des objets hétéroclites et des bribes d’histoires pour faire la lumière sur le passé tourmenté de Jacques.
Le roman alterne entre le passé et le présent, entre des scènes de tournage au Nunavik, où se trouve le cinéaste quand il apprend que son père a sauté dans le vide, d’autres se déroulant à Paris, d’autres encore dans le quartier Villeray.
La quête est entrecoupée de flashbacks: Paris pendant l’Occupation, une rafle de la Gestapo, une jeune femme portant une étoile noire, Saint-Nazaire, le camp des Huguetières, la Résistance. Petit à petit, l’histoire déchirante de Jacques apparaît.

Combler le vide
«J’avais fait un petit film sur Jacques, sur mon père. Mais ça ne suffisait pas parce qu’il y avait beaucoup de choses que je ne comprenais pas. Il fallait essayer de combler les vides. J’avais des petits morceaux de vie par des bribes, une parole presque éteinte. Des petits morceaux, accrochés les uns après les autres. Il manquait des pièces au puzzle», révèle Philippe Lavalette, en entrevue.
«La seule façon de remplir le casse-tête au complet, c’était de boucher les trous, et la fiction m’a permis de le faire. Et en étant dans la fiction, je suis très proche de la vérité. Je suis peut-être même dans la vérité absolue. Ça, on ne le saura jamais.»
Il pense être très proche de la vérité.
«J’ai fait une enquête. J’ai été sur place. Un historien m’a aidé. Une journaliste m’a donné des pistes. J’ai fait de l’archéologie: à partir des objets, qui ont chacun une histoire et une mémoire, je pouvais essayer de reconstituer les morceaux de vie que j’ignorais de mon propre père.»
Par la suite, les objets l’ont beaucoup intéressé.
«On a tous des objets, des petites choses qu’on garde. Ils n’ont souvent pas de valeur marchande, mais ils ont une valeur affective. Tout ça, je trouvais que c’était un potentiel d’écriture intéressant.»
Faits étonnants
Au cours de l’enquête, il a découvert des choses qui l’ont beaucoup surpris.
«J’ai découvert, par exemple, qu’il s’était fait baptiser à 21 ans. Pourquoi se faire baptiser à 21 ans?»
Il est allé voir le curé du village, qui a sorti un acte de baptême.
«J’ai compris qu’il devait être amoureux d’une femme très catholique alors que lui, il était plutôt d’une famille laïque, voire communiste. Donc il s’est converti, par amour.»
À un moment donné, Jacques lui avait confié qu’il avait tué un Allemand.
«Après, c’était impossible d’en savoir plus que ça. On n’a jamais rien su. Il fallait reconstruire une vie, à partir d’indices. Une petite enquête intime.»
L’écriture a été une expérience très émouvante.
«C’est horrible de penser que ton père s’est jeté par la fenêtre. C’est épouvantable. Pour essayer de comprendre et arriver à une sorte – presque – de pardon, en comprenant un peu mieux le fil de sa vie, on finit par l’accepter. C’était ça, la démarche.»
- Philippe Lavalette est directeur de la photographie et réalisateur.
- C’est le père de l’écrivaine et cinéaste Anaïs Barbeau-Lavalette.
- Il compte plusieurs films et documentaires à son actif.
- Il a aussi écrit le roman Petite Madeleine.
- Il travaille sur un projet cinématographique concernant l’actrice Johanne Harrelle et sur un projet de fiction en Israël.
- Il vient de finir un film avec Richard Desjardins.
- Il travaille également avec la Société Makivik, ce qui l’amène à voyager dans le Grand Nord.
EXTRAIT
«En sortant du commissariat, je me dirige vers le square qui jouxte le bâtiment. Je choisis un banc au soleil, à l’écart des platanes, face au carré de sable qui sera envahi bientôt de jeunes enfants dès la sortie des classes. De l’autre côté des balançoires, deux hommes âgés papotent, penchés sur leur jeu d’échecs.»