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L'article provient de TVA Nouvelles

Présents pour rien: la grande illusion estivale du travail

Photo Marc-André Bouvette
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Marc-André Bouvette, Gestionnaire et citoyen

2025-08-07T04:00:00Z
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Il faut le dire franchement: l’été n’est pas la saison de la performance. Ce n’est par ailleurs peut-être pas un problème. Ce qui l’est, c’est notre besoin (alimenté par notre organisation ou nous-mêmes) de faire semblant que tout roule. Réunions inutiles, suivis des suivis, transferts de courriel... tout ça pour montrer qu’on est là. Qu’on est connectés. Qu’on «travaille».

Vous avez probablement déjà entendu parler du fameux présentéisme. Cette culture qui valorise la disponibilité plutôt que la contribution. Cette nécessité d’être là physiquement au travail, même malade, fatigué ou inefficace. Pas besoin de vous dire que cela coûte cher. Très cher.

Au Canada, les coûts liés au présentéisme et à l’absentéisme dus à la santé mentale dépassent 20 milliards de dollars par année (Wellness Works Canada, 2023). Notons que ce chiffre n’inclut même pas les dégâts invisibles: créativité étouffée, motivation qui s’effrite, équipes en mode pilotage automatique.

Santé organisationnelle

Il ne s’agit pas ici de rentabilité et d’argent. Il s’agit de santé organisationnelle. Des chercheurs ont établi que le présentéisme est lié à une baisse de la satisfaction au travail et à une hausse du burnout (Ferreira et al., 2021). D’autres études soulignent une perte nette de productivité chez ceux qui restent actifs (Johns, 2010).

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Pendant qu’on fait semblant d’être efficaces, le Québec traîne toujours un retard important en matière de productivité. Ce n’est pas nouveau. Lucien Bouchard le disait déjà il y a 20 ans, mais rien n’a changé. On l’avait par ailleurs reçu, à tort, avec une brique et un fanal. Selon l’Institut du Québec, nous affichons un écart de 16% de productivité horaire par rapport à l’Ontario, et de plus de 20 % comparativement aux États-Unis (Institut du Québec, 2023).

Évidemment, ce retard de productivité peut être comblé par plusieurs moyens. Oui, l’automatisation et l’intelligence artificielle ont un rôle à jouer. Oui, l’innovation technologique doit être encouragée. Mais il faudra aussi s’attaquer à ce qui est moins tangible mais tout aussi stratégique: bâtir des milieux de travail où l’engagement règne, où l’on mesure ce qui compte, où l’on donne du sens au travail. Un milieu engagé, lucide et cohérent, ça performe mieux... même l’été.

Productivité

Ce n’est pas qu’un problème québécois. En 2024, seulement 21% des employés dans le monde se disent pleinement engagés dans leur travail (Gallup, 2024). On parle donc de 438 milliards de dollars de productivité perdue chaque année (Business Insider, 2024).

Rapidement, j’entendrais mes collègues RH dire que leur organisation valorise et évalue la performance individuelle. Avec quoi? Des évaluations de performance qui n’évaluent rien? Des objectifs flous, des grilles préremplies, des commentaires convenus? Ce n’est pas donné à tout le monde, l’authenticité courageuse, le courage managérial. Donc, à la fin, tout le monde est «satisfaisant». Les meilleurs lèvent le pied, le gestionnaire coche la case d’avoir réussi ses évaluations, pendant que les autres, non performants, s’encroûtent dans l’organisation.

Pourquoi est-il si délicat d’aborder la performance d’un employé dans certains milieux de travail? Pourtant, à mon avis, cette notion est parfaitement compatible avec les principes de conciliation travail-famille-vie personnelle et avec les réalités du marché du travail d’aujourd’hui.

La productivité ne viendra pas seulement d’un nouveau logiciel miracle. Elle viendra de milieux où l’on fait preuve de réalisme et de courage dans la gestion des personnes, des attentes et de la performance. Elle viendra de gestionnaires qui osent, mais aussi de cultures où on peut lever le pied sans culpabiliser, éviter le présentéisme, pour mieux accélérer ensuite.

Alors non, ralentir en été, ce n’est pas trahir. Faire semblant de livrer, en revanche, oui.

Marc-André Bouvette
Gestionnaire et citoyen

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