30 nominations partisanes à la CAQ: Legault avait promis de mettre fin aux nominations de «p'tits amis», mais c'est le contraire qu'il a fait
François Legault avait pourtant promis de mettre fin à la pratique
Annabelle Blais et Marie Christine Trottier
«Avec un gouvernement de la CAQ, les nominations partisanes et les p’tits amis, ce sera TERMINÉ», promettait François Legault dans Twitter quelques mois avant d’être élu. Six ans plus tard, le bilan est sans équivoque: avec près d’une trentaine de nominations partisanes, la promesse n’aura pas été tenue.
• À lire aussi: Voici les proches de la CAQ qui ont été nommés au gouvernement
Notre Bureau d’enquête a recensé 30 nominations de proches de la Coalition Avenir Québec (CAQ) dans des postes liés à la fonction publique, depuis 2018. Pas plus tard que ce mercredi, le gouvernement a nommé Pascal Mailhot, qui a longtemps été un proche conseiller de M. Legault, comme chef de poste du Bureau du Québec à Ottawa.
Une des plus importantes nominations partisanes des dernières années reste celle de l'ex-député caquiste Stéphane Le Bouyonnec comme sous-ministre au ministère de la Cybersécurité et du Numérique, le 23 octobre 2023.
À ce moment, ce ministère était déjà empêtré dans le fiasco de SAAQclic, qui a connu un autre rebondissement en février dernier avec la démission du ministre Éric Caire. M. Le Bouyonnec avait alors pris la place de Pierre E. Rodrigue, celui-là même qui avait travaillé en étroite collaboration avec Karl Malenfant, l'architecte de SAAQclic.
Dès son arrivée au pouvoir, la CAQ n'avait d'ailleurs pas tardé à rompre sa promesse avec la nomination de Catherine Loubier, alors directrice adjointe du cabinet de M. Legault, au poste de déléguée à New York en février 2019.
La pratique se poursuit toujours. Il y a quelques semaines, Robert Dupras, chef de cabinet à l’Éducation, a été nommé sous-ministre adjoint au ministère du Travail.
Les mauvais sondages laissant présager une fin de règne caquiste, le gouvernement risque de «placer» davantage ses gens, indiquent nos sources politiques.
«Promesse irréaliste»
François Legault, comme tous les aspirants au poste de premier ministre avant lui, n’aurait jamais dû faire cette promesse, croit Rémy Trudel, professeur à l’ENAP.
«Ce n’est pas réaliste de dire [...] “On ne nommera plus des p’tits amis”. En principe, on doit être cru quand on énonce un engagement.»
Et lorsqu’on le contourne, on perd de la crédibilité. Après les gens se disent: “Ils sont tous pareils”», déplore M. Trudel.
La CAQ a fait adopter une loi exigeant l’appui des deux tiers des députés pour des nominations, mais seulement pour celles du commissaire de l’UPAC, du directeur de la Sûreté du Québec et du directeur des poursuites criminelles et pénales.
Il s’agit d’une version édulcorée de ce que la CAQ proposait lorsqu’elle était dans l’opposition.
«Ça paraît bien et c’est vendeur auprès de l’électorat de dire: “Nous sommes plus purs que purs et il n’y en aura pas, de nomination partisane”. Mais c’est impossible», croit également Nelson Michaud, professeur à l’ENAP.
Il estime que les nominations partisanes sont inévitables, car elles permettent au gouvernement de veiller à ce que ses politiques soient mises en œuvre par des personnes de confiance.
«Et c’est tout à fait démocratique», dit-il.
«Ce n’est pas possible de penser que des gens qui s’intéressent à l’administration publique ne puissent pas un jour en devenir des acteurs», ajoute Rémy Trudel.
Transparence et compétence
Pour nos experts, les nominations doivent répondre à deux conditions: la compétence et la transparence.
«Nommer un partisan incompétent, ça, c’est inacceptable», dit M. Michaud.
Certaines personnes de notre liste, comme Marie Grégoire nommée à la tête de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, avaient été critiqués pour leur manque d’expérience en lien avec leur emploi.
«Pour chaque nomination aux allures de partisanerie, le gouvernement a la responsabilité de faire la démonstration de la compétence des candidats», souligne M. Trudel.
Le problème est que le processus de sélection est souvent entouré du sceau de la confidentialité, ce qui alimente les spéculations.
«Ce que je reproche, c’est de ne pas prendre soin de donner toutes les explications nécessaires, à savoir pourquoi cette personne a été choisie», dit M. Trudel.
Le cabinet du premier ministre Legault répond à notre Bureau d’enquête que chaque nomination est «guidée» par la compétence, les qualifications et l'expertise.
«La CAQ est le premier gouvernement à avoir mis fin aux pratiques de nominations partisanes récurrentes et systématiques», prétend par courriel le porte-parole de M. Legault, Ewan Sauves. «Nous avons tourné la page d’un système où les choix étaient trop souvent influencés par des considérations politiques.»
Mais il ne compte pas pour autant faire adopter les projets de loi qu'il a tant mis de l'avant lorsque la CAQ siégait dans l'opposition.
Encore là, la CAQ n'a rien inventé. L'argument de la compétence est aussi vieux que la pratique des nominations partisanes. En 2004 Thomas Mulcair, alors libéral, répliquait aux attaques de l'opposition en disant: «Est-ce que les gens nommés sont compétents? La réponse est oui». En 2012, le péquiste Yves-François Blanchet annonçait «Le PQ nommera sur la base des compétences». Et encore Philippe Couillard en 2014: «Moi, je vais faire des nominations qui sont basées, avant tout, sur la compétence des gens».
Et qui a dit: «On va mettre fin aux nominations partisanes [...] Désormais, c’est la compétence qui devient le critère fondamental»? François Legault, en 2018.
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire?
Écrivez-nous à l'adresse ou appelez-nous directement au 1 800-63SCOOP.