Pour «Tron: Ares»: Jared Leto ramène au cinéma une franchise culte à l’heure de l’intelligence artificielle

Isabelle Hontebeyrie
Quarante-trois ans après avoir été jugée trop avant-gardiste, la saga Tron revient en force en plein débat sur l’intelligence artificielle (IA). Ce troisième chapitre, placé sous la direction du Norvégien Joachim Ronning, met en vedette Jared Leto, Jodie-Turner Smith, Evan Peters ainsi que Jeff Bridges.
À l’heure où les studios Disney cherchent à renflouer leurs coffres et à s’éloigner de toute controverse en raison du climat politique américain, Tron: Ares s’invite dans un débat qui fait actuellement rage: celui autour de l’IA, miroir de nos angoisses technologiques. Impossible de ne pas noter que l’industrie du cinéma elle-même est en plein questionnement quant à l’usage des technologies génératives, le cas de Tilly Norwood, actrice entièrement créée par l’IA, provoquant actuellement une levée de boucliers et un malaise palpable.

Le prophète numérique
L’héritage du premier Tron (sorti en 1982) est celui d’un long métrage jugé trop en avance sur son temps par un public qui n’avait pas les outils pour décoder la mise en garde du cinéaste Steven Lisberger. Mais l’œuvre a rapidement acquis le statut de film culte grâce à sa diffusion en vidéo, assurant à Disney un public fidèle de geeks, le premier Terminator étant lancé en 1984 pour le même public cible.
L’écho de ce premier Tron résonne d’ailleurs directement dans Ares. L’actrice Greta Lee, qui incarne la programmeuse Eve Kim, témoigne du caractère troublant de l’expérience, confiant avoir eu «des frissons» sur le plateau en «réalisant que les idées mises en place par Lisberger sont devenues non seulement toujours pertinentes, mais sous nos yeux, inéluctables». Tron ne raconte donc plus un futur possible, mais un présent anxiogène.
Le scénario de Tron: Ares, signé par Jesse Wigutow, inverse la prémisse fondamentale de la saga. L’utilisateur n’est plus aspiré par le monde numérique pour tenter d’y survivre, c’est le Programme Ares (Jared Leto) qui est «envoyé du monde numérique vers le monde réel pour une mission dangereuse», selon le synopsis officiel des studios de la souris. Ce changement de direction permet donc au réalisateur Joachim Ronning d’ancrer le long métrage au budget de production estimé entre 150 et 200M$ dans le débat actuel autour des utilisations possibles – et des dérives – de l’IA.

Au média en ligne Latino Review Media, Gillian Anderson, qui incarne Elisabeth Dillinger, voix de la raison hors de la Grille, indique que «l’univers de Tron a encapsulé notre fascination humaine pour tout ce qui touche au monde émergent de la technologie informatique. La science-fiction est quelque chose que nous utilisons comme parabole depuis des décennies, c'est une manière de traiter nos plus grandes peurs, nos plus grandes curiosités et notre imaginaire.»
De plus, dans les pages du magazine Empire, Steven Lisberger n’hésite pas à souligner l’intrusion de plus en plus brutale de la technologie dans notre quotidien. «Les light cycles et la vitesse de la Grille sont maintenant une métaphore de la technologie qui traverse chaque partie de notre réalité. La technologie fait désormais tellement partie de nos vies que si vous aviez un light cycle dans la rue, il trancherait les voitures en deux sur son passage.»
Quant à Jeff Bridges, il reprend son rôle de Kevin Flynn, personnage emblématique de cet univers et qui est désormais «une sorte de conscience qui y subsiste».
Les jeux de pouvoir

Tron: Ares est piloté par Jared Leto, qui, en plus d’en être l’acteur principal, en est aussi le producteur. «Pour moi, Tron, c’est comme Star Wars, c’est comme Blade Runner. C’est l’un de ces films qui vivent pour toujours en moi», a dit à Latino Review Media celui qui a vu le film de 1982 lors de sa sortie et qui en a été marqué, au point de participer au développement du troisième volet «pendant les neuf dernières années».
Son personnage au nom évocateur du dieu grec de la Guerre «est un programme qui cherche un moyen de faire du monde réel son propre monde, de façon permanente», notait-il il y a deux ans, lors de D23, la convention biennale des studios Disney. Aujourd’hui il n’en dira pas plus, se contentant de souligner au magazine People: «Ce que je trouve intéressant avec Tron, c’est qu’il parle de la culture et de la technologie de l’époque dans laquelle nous vivons. Et c’est vraiment le sujet du nouveau film.»
Ares n’est pas seul. Il est aidé par son Programme second, Athena, incarnée par Jodie Turner-Smith. «Elle est hardcore, a indiqué l’actrice dans les pages du magazine Empire. Elle est féroce, forte et loyale. C’est vraiment amusant de jouer quelqu’un qui est totalement intransigeant et qui s’emploie effrontément à atteindre ses objectifs.»
L’actrice britannique s’est transformée pour le rôle, allant jusqu’à épiler complètement ses sourcils. «Joachim [le réalisateur] voulait que je devienne blonde, ce que j’ai fait, et j’ai aussi décoloré mes sourcils. Puis je me suis dit: “Ce sera plus beau si les sourcils disparaissent. Si quelqu’un est contrarié, je dirai juste que la décoloration les a fait tomber”.»
L’avalanche visuelle

Le cinéaste Joachim Ronning (à qui l’on doit notamment Pirates des Caraïbes: les morts ne racontent pas d’histoires) ne cache pas que l’ambition de ce Tron: Ares est de surpasser son prédécesseur de 2010, Tron: l’héritage, au budget pharaonique de 300M$, ce qui en faisait le long métrage le plus cher de l’histoire du cinéma à l’époque.
Pour repousser les limites technologiques (et donc visuelles), le cinéaste a fait appel à ILM (Industrial Light & Magic, filiale de Disney, rachetée à George Lucas en 2012), qui, selon sa propre expression, a traité Ares comme le «saint Graal des graphiques informatiques».
Dans les pages d’Empire, il a promis «des images jamais vues, grâce à son utilisation de caméras actionnées par le mouvement sur la Grille, afin d’obtenir une perspective visuelle qui donne l’impression qu’un programme filme un programme», tout cela pour s’interroger sur le regard numérique. Cela n’a pas empêché le réalisateur de tenir à intégrer des effets pratiques, notamment pour les light cycles afin de rendre l’action «plus humaine, établissant un équilibre entre la technologie du film et la réalité physique des acteurs».
Après le travail de Daft Punk pour le deuxième volet, Disney a confié la musique de Tron: Ares à Nine Inch Nails, duo formé des prolifiques Trent Reznor et Atticus Ross, ce dernier soulignant d’ailleurs que la trame sonore est «différente [des précédentes partitions de Tron], et que, par endroits, cela représente peut-être un pari plus audacieux quant à ce que la musique peut faire au cinéma».
La franchise des controverses technologiques
Chaque long métrage a suscité débats et controverses.
Le Tron de 1982 a révolutionné l’industrie des effets visuels avec ses 20 minutes d’effets entièrement réalisés par ordinateur. L’Académie des Oscars a toutefois écarté le film des nominations dans cette catégorie, jugeant que le recours à un ordinateur était une «forme de tricherie», puisque «personne n’a créé les images en question»!
Le Tron: l’héritage de 2010 a utilisé la captation de performance pour rajeunir Jeff Bridges et créer son double maléfique, Clu. L’acteur oscarisé s’est soumis à des heures d’enregistrement, le visage équipé de 52 capteurs. Certains membres de l’industrie, dont Meryl Streep a été la plus vocale, ont remis en question l’authenticité de cette technique, doutant qu’il s’agisse là d’un «véritable jeu d’acteur».
Tron: Ares déboule en force sur les écrans le 10 octobre.