La CSN parle d’une «déclaration de guerre»: Jean Boulet veut limiter la durée des conflits de travail

Marc-André Gagnon
Les syndicats parlent d’une «déclaration de guerre»: le ministre du Travail, Jean Boulet, veut limiter la durée des conflits de travail qui affectent les services à la population comme ceux en transport collectif et en éducation notamment.
Le projet de loi 89 «visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out» donnera le pouvoir au gouvernement de déférer une situation où un conflit de travail perdure devant le Tribunal administratif du travail (TAT), lorsque les conséquences sont trop lourdes pour les citoyens.
Si les élus adoptent sa pièce législative, le ministre obtiendra aussi le pouvoir de forcer un arbitrage exécutoire, lorsque les parties n’arrivent pas à s’entendre au bout de 15 jours.
À l’heure actuelle, les services essentiels en cas de conflit de travail se limitent principalement à ce qui touche la santé et la sécurité publique. Les autres secteurs pourraient ainsi avoir eux aussi à maintenir certains services.
La population prise en otage
Au Salon rouge, le ministre Boulet a fait valoir que son approche se veut «équilibrée». «Une grève, c’est un moyen de pression, [...] ça ne peut pas servir à prendre la population en otage», a-t-il déclaré.
En conférence de presse, il s’est défendu de déclarer la guerre aux syndicats, comme la CSN le prétend. «On se donne des leviers d’intervention», a-t-il résumé, parlant d’un outil de dernier recours.
Parmi les différents conflits de travail l’ayant motivé à légiférer, M. Boulet a rappelé celui du Cimetière Notre-Dame-des-Neiges, qui a perduré six mois en 2023. «Les dépouilles étaient accumulées dans des frigidaires, le cimetière n’était pas entretenu», a relaté le ministre.
Il s’est aussi montré préoccupé par le maintien des services de transport collectif, par exemple pour les personnes à faibles revenus qui doivent se rendre à l’hôpital, ou pour les jeunes en situation de vulnérabilité qui vont à l’école.
Autre exemple: le TAT a récemment tranché en faveur des chauffeurs du RTC, forçant le Festival d’été de Québec à se préparer à ce qu’il n’y ait pas de navettes en cas de grève, chose qui a finalement été évitée de justesse. Le ministre Boulet avait alors été sommé par l’administration Marchand de légiférer pour assujettir les sociétés de transport collectif aux services essentiels, comme c’était le cas avant une décision du tribunal de 2019.
Attaque aux droits des travailleurs
Le député solidaire Alexandre Leduc est déjà convaincu que ce que M. Boulet propose de faire est «illégal» et se demande s’il cherche à se venger, entre autres, des grèves menées par les enseignants.
On se souviendra notamment qu’entre le 23 novembre et le 28 décembre 2023, les classes ont été paralysées par une grève générale illimitée des syndiqués de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE).
La présidente de la CSN, Caroline Senneville, constate que M. Boulet s’inspire de son homologue fédéral, Steven MacKinnon, qui a récemment précipité la fin des conflits des secteurs des postes, des ports et du rail.
Mme Senneville rappelle toutefois que les récentes interventions du ministre fédéral du Travail sont actuellement contestées devant les tribunaux. Le ministre Boulet le reconnaît, mais il juge que la loi fédérale n’est pas suffisamment balisée.
Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), affilié à la FTQ, se dit prêt à utiliser «tous les moyens nécessaires» pour défendre le droit de grève des travailleurs.
Ce qu'ils ont dit:
«C’est ni plus ni moins une déclaration de guerre aux travailleuses et aux travailleurs que le gouvernement vient de faire avec le dépôt de ce projet de loi. [...] Ce que le gouvernement veut faire, ce n’est pas protéger les vulnérables: c’est attaquer les travailleuses et les travailleurs.»
–Caroline Senneville, présidente de la CSN
«Le ministre Boulet joue à la marmotte cette année: il espère peut-être que son projet de loi verra son ombre et s’imposera. Mais qu’il se le tienne pour dit: ce projet ne verra pas son ombre, parce que nous allons tout faire pour qu’il ne voie jamais le jour. Nous serons là pour le combattre à chaque étape.»
–Patrick Gloutney, président du SCFP-Québec
«Restreindre le droit de grève signifie réduire la capacité de nos membres à se faire entendre. Les moyens de pression sont très limités en éducation. C’est de revoir les rapports de force de négociation au bénéfice de l’État.»
–Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l’enseignement
«C’est clair qu’ils nous enlèvent des moyens de négocier.»
–Éric Pronovost, président de la FPSS-CSQ
«Il va juste se magasiner une bonne poursuite judiciaire pendant 5, 10 ans. [...] Ça va finir par être rejeté par les tribunaux.»
–Alexandre Leduc, ex-conseiller syndical et député solidaire d’Hochelaga-Maisonneuve.
Ce que propose le projet de loi:
- modifier le nom de la division des services essentiels du TAT en lui attribuant le mandat d’instruire «les affaires concernant les services assurant le bien-être de la population»;
- introduire des dispositions visant le maintien de services assurant le bien-être de la population, pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population, notamment celle des personnes en situation de vulnérabilité;
- permettre au tribunal de «suspendre l’exercice du droit de grève» s’il juge que des circonstances exceptionnelles le justifient;
- conférer au gouvernement le pouvoir de désigner par décret une association accréditée et un employeur à l’égard desquels le Tribunal administratif du travail peut déterminer si des services assurant le bien-être de la population doivent être maintenus en cas de grève ou de l’entente.
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