Politique migratoire fédérale: un délire idéologique et un déni de démocratie
Lettre de Paul St-Pierre Plamondon, Chef du Parti Québécois
Paul St-Pierre Plamondon, Chef du Parti Québécois
Le 5 novembre dernier, je publiais un long texte sur les politiques complètement irresponsables du gouvernement fédéral et de la CAQ en matière d’immigration et sur les conséquences que celles-ci ont sur la crise du logement, l’accession à la propriété, le français et les services essentiels au Québec.
Mon propos était le suivant: sans blâmer les individus, il faut être lucide et reconnaître que les politiques en matière d’immigration nous amènent rapidement dans un mur sur les sujets mentionnés précédemment.
Comme il en est devenu la coutume lorsqu’on ose aborder ces enjeux, plusieurs commentateurs ont récité leurs calomnies habituelles, certains, dans de grands journaux et à la télévision d’État, qualifiant ces positions d’intolérantes et frôlant même la xénophobie.
- Écoutez son entrevue avec Richard Martineau via QUB :
Impacts
C’est donc avec attention que j’ai pris connaissance de trois développements à ce sujet au cours des derniers jours. D’abord, aujourd’hui la Banque Nationale a déclaré que le Canada est entré dans un état de «piège démographique» (en anglais, population trap) qui entraînera l’appauvrissement des Canadiens. Ce phénomène, qui est normalement réservé aux pays en voie de développement où la natalité est très élevée, signifie que la population croit tellement rapidement que ça ralentit la croissance économique et appauvrit le niveau de vie collectif. Du jamais vu dans l’histoire occidentale moderne.
Ensuite, la semaine dernière, des économistes en chef des grandes banques canadiennes ont également publié des conclusions similaires: sur le plan économique, la croissance de la population actuelle du fait de l’immigration est insoutenable, injustifiable et ne peut pas continuer, sans quoi d’importants problèmes seront accentués; manque de places en garderie, dans les écoles, dans le logement, etc. C’est exactement ce que je mentionnais dans mon texte en novembre dernier.
Finalement un dernier développement d’intérêt: si certains doutaient encore du fait que la politique migratoire du fédéral (l’initiative du Siècle) relevait d’autre chose que du délire idéologique, ils devraient se raviser après avoir pris connaissance d’un texte de la Presse canadienne qui nous révélait que des fonctionnaires fédéraux ont averti le gouvernement fédéral, il y a deux ans, que l’augmentation prévue de ses seuils nuirait à l’accès au logement et à la propriété.
C’est donc en toute connaissance de cause que le fédéral est allé de l’avant avec une politique migratoire qui est littéralement la première cause de l’augmentation du prix des maisons et des loyers, comme nous le confirmait le grand économiste Pierre Fortin dans un texte paru en décembre intitulé «la croissance démographique provoque la crise de l’habitation».
Immobilier
Il s’agit non seulement d’un déséquilibrage intentionnel du marché de l’immobilier, mais aussi d’un grave déni de démocratie lorsqu’on considère que le Québec, l’endroit où les loyers et les propriétés étaient les plus abordables au Canada, n’a jamais été consulté, confisquant à toute une génération la chance d’avoir accès à la propriété comme leurs parents et leurs grands-parents avant eux. Pour ajouter l’insulte à l’injure, le ministre fédéral de l’Immigration Marc Miller avait affirmé qu’il n’y aurait pas de problème parce que les immigrants allaient eux-mêmes bâtir des maisons! Dans la catégorie prendre la population pour des imbéciles, on a rarement vu pire.
Ma publication ne réitérera pas dans le détail la position du Parti Québécois sur l’immigration, en résumé nous voulons ramener les seuils en proportion de notre capacité à loger, franciser et intégrer, tout en réinvestissant dans les services sociaux de sorte que chaque Québécois, peu importe son origine, ait droit à un toit et des services qui offrent un traitement équitable. Ma publication vise plutôt à relever la malhonnêteté intellectuelle des gouvernements présentement en place sur cette question. Tant Justin Trudeau que la CAQ nous ont répété qu’il fallait toujours hausser les seuils, car ça solutionnerait la pénurie de main-d’œuvre: c’est un mensonge, une affirmation qui est contredite tant par les experts que par l’expérience des 30 dernières années.
Aucun parti politique, sauf le Parti Québécois (et le Bloc au fédéral), n’a le courage de faire preuve de lucidité sur cette question. Au Canada postnational, même les conservateurs qui se disent champions de l’économie font semblant de ne pas comprendre le principe le plus élémentaire en sciences économiques, celui de l’offre et de la demande. Il était ironique et fascinant de voir Pierre Poilievre publier un documentaire de 15 minutes sur les raisons de la crise du logement sans avoir l’honnêteté et «le gros bon sens» d’évoquer ne serait-ce que minimalement la question de la hausse insoutenable de la demande. Il faut le faire.
La CAQ fait partie du problème
Nous avons appris le mois passé que l’immigration temporaire au Québec avait franchi le cap des 500 000 au Québec pour se chiffrer à 528 000, du jamais vu. On parle de 167 098 nouveaux immigrants temporaires en 2023, notamment en raison des politiques du gouvernement fédéral (modification des règles pour l’obtention des visas, embauche de travailleurs sans évaluation des impacts sur le marché du travail, facilitation d’entrée pour les étudiants anglophones, etc.). Pour faire une comparaison, cela signifie quatorze fois plus d’immigration temporaire sous la CAQ de François Legault que sous les libéraux de Philippe Couillard.
Au même moment, les mises en chantier au Québec ont diminué de 35% par rapport à l’année dernière, en étant inférieures à 30 000, des chiffres historiquement bas. Les prédictions pour l’année prochaine ne sont guère plus reluisantes.
Sur le plan de la malhonnêteté intellectuelle, rappelons que François Legault a mené campagne en 2018 sur la proposition de baisser les seuils d’immigration à 40 000. Durant la campagne 2022, il affirmait que si le Québec n’obtenait pas tous les pouvoirs en matière d’immigration, c’était la «Louisianisation» qui nous attendait. C’était une question de «survie de la nation» et ça prenait un «mandat fort» et même un «référendum» pour y arriver. C’était également «suicidaire» d’augmenter les seuils à plus de 50 000. Dans les faits, il aura donc mené deux campagnes électorales, celles de 2018 et 2022, sur la base de fausses représentations sur cette question: il a fait exactement l’inverse en ne demandant jamais les pouvoirs en immigration et en augmentant les seuils à 65 000 plutôt que les diminuer.
Il y a un prix à mettre des fédéralistes au pouvoir et à abdiquer sur notre droit à décider par nous-mêmes, en fonction de notre spécificité et de notre volonté. La question de l’immigration est une question parmi tant d’autres ou non seulement le Canada se fout de la volonté du Québec, il sabote volontairement le modèle québécois et notre spécificité linguistique et culturelle. À l’image des libéraux, la CAQ joue à l’autruche et fait semblant que ça n’a pas lieu. Le Parti Québécois est le seul parti à donner l’heure juste très clairement: il faut se faire confiance et sortir du Canada le plus rapidement possible.
Paul St-Pierre Plamondon, Chef du Parti Québécois