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L'article provient de Le Journal de Montréal
Justice et faits divers

Mort de la fillette de Granby: «Plusieurs signes avant-coureurs laissaient présager cette tragédie», selon le rapport de la coroner

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Photo portrait de Antoine Lacroix

Antoine Lacroix

2025-09-03T12:00:00Z
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Dans un rapport fouillé et méticuleux, une coroner a déploré que les besoins de la fillette de Granby aient souvent été ignorés par un système évoluant en «silo» qui a échoué, pour finalement mener à sa mort atroce.

• À lire aussi: «Pour que ton histoire ne soit jamais oubliée»: voici l’hommage rendu à la fillette de Granby par la coroner qui a enquêté sur son homicide

«Plusieurs signes avant-coureurs laissaient présager cette tragédie. Bien que des passages de l’analyse de mon rapport puissent être difficiles à lire, il est de mon devoir de donner une voix à cette enfant», a écrit, d’entrée de jeu, Géhane Kamel dans un document de 26 pages rendu public mercredi matin.

Dans une mise en garde rarement vue, la coroner prévient que «des extraits de ce rapport sont insoutenables».

Elle y relate les dernières heures d’agonie qui ont mené au décès de la fillette. Les circonstances avaient toutefois été révélées au grand jour et avaient choqué le Québec lors du procès à l’automne 2021 de la belle-mère de l’enfant, qui avait 7 ans au moment de sa mort.

Or, Me Kamel vient surtout mettre en lumière comment le système n’a pas été en mesure de protéger la petite, car on apprend qu’au moins quatre signalements à la DPJ n’ont pas été retenus au fil du temps.

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Les allégations étaient pourtant graves: abus physique, mauvais traitements psychologiques et négligence sur le plan éducatif.

Elle connaissait l’horaire des poubelles

De septembre 2018 à mars 2019, le personnel scolaire avait observé à plusieurs reprises que la jeune fille semblait victime de négligence.

En février 2018, elle avait notamment fait des confidences troublantes à l’une de ses enseignantes.

«Elle a alors révélé qu’elle recevait des douches froides et chaudes et qu’elle devait effectuer des exercices physiques (squats et chaise) lorsqu’elle ne respectait pas les consignes», lit-on.

L’enfant disait souvent au personnel de l’école ne pas avoir déjeuné le matin.

«Tous étaient conscients que [l’enfant] mangeait tout ce qui se trouvait à sa portée, connaissait l’horaire des poubelles et volait des lunchs à l’école», apprend-on.

24 interventions policières

Entre 2012 et l’homicide de la jeune fille survenu à la fin d’avril 2019, les policiers sont intervenus à 24 reprises à son domicile.

«Ces informations à elles seules n’auraient-elles pas dû indiquer un drapeau rouge?» se demande la coroner.

En mai 2018, «après trois remises à la cour, la juge a ordonné que l’enfant demeure sous la garde de son père, et ce, malgré des signalements répétés de violence conjugale et de violence directe à l’égard de l’enfant».

«La question reste en suspens, mais elle demeure pourtant cruciale: pourquoi n’a-t-on pas confié l’enfant à un tiers?» a-t-elle aussi demandé.

• Écoutez aussi cet épisode balado tiré de l'émission de Mario Dumont, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :

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Entrevue policière... de 8 minutes

En novembre 2018, la fillette avait été rencontrée par les policiers pour une entrevue filmée, mais elle avait «nécessairement reçu des instructions par son père» de ne rien dire, a noté Me Kamel.

«[Elle] ne souhaite pas parler de ce qui se passe à la maison ni de sa relation avec son père et sa belle-mère. L’entrevue est écourtée après huit minutes. [L’enfant] réitère alors: “Ce qui se passe à la maison doit rester à la maison”», écrit encore la coroner.

«Cette entrevue, en elle-même, soulève de nombreux questionnements fondamentaux. D’abord, est-ce réellement la manière la plus judicieuse de sécuriser un enfant que de le rencontrer dans un poste de police, un lieu souvent perçu comme intimidant, voire menaçant, pour les plus jeunes?» ajoute-t-elle.

Géhane Kamel a donc adressé 12 recommandations très précises à diverses organisations, dont les ministères de la Santé et des Services sociaux, de l’Éducation, de la Sécurité publique et de la Justice ainsi que Santé Québec.


Ce que la coroner Géhane Kamel a dit

«Il faudra impérativement nous interroger sur ce que nous souhaitons véritablement pour nos enfants. [...] Il faudra impérativement s’assurer que nous avons des ressources suffisantes pour offrir ces services de première ligne.»

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«La DPJ ne peut être seule à porter la responsabilité du bien-être des enfants ni à être blâmée lorsque survient un échec. [...] La lourdeur et l’intensité de la tâche amènent plusieurs intervenants à quitter le milieu des services à la jeunesse, ce qui ne fait qu’aggraver la pénurie et nuire à la qualité des services offerts aux familles vulnérables. C’est un véritable exode d’intervenants.»

«À la lumière de tous les éléments recueillis lors de cette investigation, il apparaît que [l’enfant] aurait dû être entendue. Les indicateurs préoccupants étaient nombreux [...] Les mécanismes de protection n’ont pas permis d’assurer une réponse suffisamment concertée afin d’éviter son décès.»

«Je suis convaincue que personne n’a agi de mauvaise foi. Chacun œuvrait dans son propre silo, oubliant malheureusement l’essentiel: [l’enfant]. Ce drame ne relève pas uniquement du réseau hospitalier, de la DPJ ou du milieu scolaire.»

«Lorsqu’une enfant de sept ans exprime clairement une réticence à parler, ne devrait-on pas faire preuve d’une prudence accrue, d’autant plus que l’historique familial est déjà bien documenté? De maintenir [la fillette] avec sa belle-mère le temps d’être vue par les enquêteurs, n’était-ce pas là un lourd fardeau à lui faire porter? Faut-il s’étonner qu’elle n’ait pas voulu parler?» 

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