Plus qu’un gardien de sécurité, ce personnage flamboyant et sensible est une sorte de thérapie pour les espoirs de la LNH


Nicolas Cloutier
BUFFALO | Accoudé au bar, le collègue Marc-Antoine Godin détourne mon attention vers le gardien de sécurité à l’entrée du lobby du Marriott Harborcenter de Buffalo. En le regardant de plus près, je me demande bien comment la «passe sur le tape» a été nécessaire, car Ian Morales est difficile à manquer.
Avec ses lunettes rouges clair et sa longue crinière blonde platine qui contraste avec ses courts poils de barbe foncés, il semble tout droit sorti du film Zoolander. «Ce sont ses vrais cheveux», m’assure-t-on. Un macaron accroché à son veston l’atteste : «YES, IT’S REAL».
On m’indique, aussi, que ce gars-là est une sorte de légende, de figure mythique du Combine que les espoirs s’arrachent année après année. Les espoirs au Combine, mais les joueurs de l’organisation des Sabres aussi.
«Peyton Krebs m’appelle Tarzan, mentionne notre sympathique rockstar en riant. Je me rappelle encore le moment où Ryan Johnson me confiait ses histoires de cœur, me parlait de "cette fille". Il va maintenant se marier avec elle.»
Au cours de la semaine, on comprend qu’il y a, derrière cette superbe chevelure, bien plus qu’une anecdote ou un personnage.
Et que, si lan Morales n’est pas de retour l’an prochain, ce sont tous les acteurs du Combine qui en seront perdants.
Parce que la présence de Morales s’est révélée une thérapie pour des espoirs anxieux dans ce tourbillon d’entrevues et d’évaluations parfois un peu intrusives. Plus qu’un gardien de sécurité, il a été un confident, une oreille attentive.
Besoin de lui «en tout temps»
Né d’un père portoricain et d’une mère «aussi blanche que c’en est possible» avec des origines européennes, notamment allemandes, Morales s’amuse à se décrire comme un mélange un peu bâtard.
Son père, culturiste et professeur d’arts martiaux, lui a transmis la passion du karaté et de l’entraînement. Jusqu’à ce qu’il subisse un grave accident au travail alors que Ian n’avait que 5 ans. Son état a graduellement empiré par la suite.
«Après que mon père eut rendu l’âme, raconte Morales, ma sœur conduisait une bonne journée et elle a aperçu une convocation à une entrevue au KeyBay Center, l’amphithéâtre des Sabres de Buffalo. C’était il y a trois ans, et je travaille à la sécurité pour les Sabres depuis.»
Morales n’était pas entiché outre mesure par le hockey ou le Combine.
«Quand ils m’ont parlé de l’événement, je me suis dit : "Pourquoi pas?" Les heures étaient bonnes.»
Dès le jour 1, son énergie a enveloppé la salle. L’ambiance était soudainement plus légère; les sourires, plus saillants sur les visages des jeunes.
«Après le premier jour, le directeur de la Centrale de recrutement de la LNH, Dan Marr, s’est levé : "Je dois avoir cet homme en face du lobby en tout temps."»
Marr avait remarqué dès lors un magnétisme chez Morales, qu’il jugeait indispensable pour la suite des choses.
«Je suis là pour aider et faire observer le protocole de l’événement, mais le but principal, c’est que les gens se sentent la bienvenue, plaide Morales. Je ne m’identifie pas au stéréotype du gardien de sécurité jackass.
«Dan apprécie cette approche parce que la semaine de ces espoirs est déjà assez difficile comme ça. Ils s’entraînent toute leur vie, mais lors de cet événement, ils sont complètement exposés.»
Wang et les Tchèques
Morales a toujours eu des affinités particulières avec les espoirs en provenance des pays lointains, puisqu’il «aime apprendre sur les gens». Cette année, c’était Simon Wang, défenseur chinois qui a déménagé au Canada à 12 ans. Malgré son énorme progrès en anglais, Wang nous apparaissait un peu nerveux au cours de la semaine.
Pas avec notre ami.
«Je m’attends à ce que les espoirs soient gênés, mais j’apprécie quand ils viennent me voir directement et lancent la conversation. C’est ce que Simon a fait. Il a été vraiment plaisant. Un bon garçon. Roger McQueen aussi d’ailleurs, en plus d’avoir un nom cool. Il a été le premier à venir me voir.»
L’an passé, c’étaient les Tchèques.
«On échangeait les plaisanteries sans arrêt. Ils essayaient de m’enseigner leurs jurons.»
Parfois, le ton demeure léger. D’autres fois, les discussions sont un peu plus profondes.
«À certains moments, du bout des lèvres, ils avouaient : "Oh, c’était dur." J’investiguais. Je posais des questions. Leur langage corporel changeait et ils se braquaient.
«Et puis ils revenaient me parler. Ce n’était pas toujours en profondeur parce que ces jeunes hommes n’ont pas tous développé les outils, encore, pour entretenir ce genre de discussions. Mais vers la fin de la semaine, ils me disaient à quel point ils avaient apprécié ma présence ici chaque jour.
«Juste tantôt, un des garçons est venu me voir avant de partir : "Merci d’avoir été là."»
C’est à travers ces moments qu’il valorise son travail.
«Vraiment, confirme-t-il. Je ne suis pas le plus grand fan de hockey. C’est la vérité. Le hockey, ce n’est pas ma passion. Moi ce que j’aime, ce sont les gens.»
La Sainte Trinité
Un humanisme qui est en soi le plus bel hommage à ses parents, dont son père qui est aux cieux.
«Ils m’ont toujours encouragé à parler à tout le monde. Quand j’étais plus jeune, ils m’envoyaient délibérément faire des courses au magasin pour me forcer à interagir avec les gens.»
Dans la tonitruante chevelure, il y a encore une fois un peu de papa et maman.
«Mon père avait une longue queue de cheval noire et un goatee, se souvient-il, une pointe de nostalgie dans la voix. J’ai toujours porté des boucles d’oreille, depuis que j’ai 5 ans. Et mes cheveux, ils ont toujours été longs, au moins jusqu’aux épaules.»
Puis, il y a 7 ans, quand son père a rendu son dernier souffle, il a rangé les ciseaux pour de bon.
«J’ai décidé à ce moment-ci que j’allais les laisser pousser. Cela fait huit ans que je ne les ai pratiquement pas touchés. Mon père portoricain avait des cheveux foncés, épais et frisés, explique-t-il en montrant une colonne de cheveux sombres scindant sa crinière en deux.
«Et ma mère a de longs cheveux plats et blonds. Alors j’ai une combinaison des deux, de ma mère et mon père.»
Si Morales parle avec son cœur, il ne craque pas au fil des confidences, mais sourit plutôt fièrement.
«Ces deux éléments combinés, avec mon style et ma personnalité, ça donne la Sainte Trinité, m’a-t-on dit!»
On croise les doigts pour le recroiser l’an prochain. Sans qu’il ne le confirme, on a le terrible pressentiment que ce Combine pourrait être son dernier.
«Ç’a été un plaisir de rencontrer les membres du personnel et tous les garçons. D’être témoin de la passion des gens. On verra. Si la vie en decide ainsi...»