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L'article provient de Le Journal de Québec
Société

Airbnb est pratique pour les pimps, qui transforment des logements en bordels éphémères

Il arrive que ces appartements, discrets et luxueux, servent à la prostitution juvénile

Le lieutenant-détective Marc Desrosiers et l’agente Fannie Perras, du Service de police de l’agglomération de Longueuil, ont eu affaire à des propriétaires d’Airbnb lors d’enquêtes sur le proxénétisme.
Le lieutenant-détective Marc Desrosiers et l’agente Fannie Perras, du Service de police de l’agglomération de Longueuil, ont eu affaire à des propriétaires d’Airbnb lors d’enquêtes sur le proxénétisme. Photo Martin Chevalier
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Nora T. Lamontagne

2023-03-27T04:00:00Z
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Des logements Airbnb normalement destinés aux touristes sont parfois transformés en bordels éphémères administrés par des proxénètes, à l’abri des regards.

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«Les clients rentrent dans un bloc, pas dans un hôtel, et n’ont pas à se présenter. C’est plus discret, et pour eux, c’est mieux», témoigne Vicky Powell, une avocate qui défend souvent des accusés de proxénétisme.

À l’heure actuelle, ni les forces policières, ni la justice, ni les organismes communautaires contactés par Le Journal n’ont une idée précise de l’ampleur du phénomène des chambres Airbnb utilisées à des fins de prostitution au Québec.

Me Powell estime néanmoins qu’environ la moitié de ses clients proxénètes les utilisent.

«Ils aiment tout ce qui est beau et luxueux, alors des quartiers centralisés comme Griffintown ou le centre-ville sont très sollicités», remarque-t-elle dans ses dossiers.

«On sait qu’[Airbnb] fait désormais partie du paysage de l’industrie du sexe, ça revient beaucoup dans nos réunions entre survivantes», confirme aussi Jennie-Laure Sully, organisatrice communautaire de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES).

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Rien qu’à Québec et Montréal, plus de 16 000 hébergements sont présents sur la plateforme américaine, selon le site InsideAirbnb.

Prostitution juvénile

De récents documents judiciaires démontrent que les pimps n’hésitent pas à louer certaines de ces chambres pour s’adonner à la prostitution de mineures, souvent en fugue d’un centre jeunesse.

«C’est à leur avantage. Quand la fille n’a pas encore 18 ans, ils vont encore plus essayer de couvrir leurs traces», relève Mme Sully.

Car le recours à ce type de location complique le travail des enquêteurs, qui ne peuvent compter sur la vigilance des hôteliers et la surveillance de routine des alentours.

N’importe où

Et les logements concernés peuvent être n’importe où, dans n’importe quelle ville.

«Il faut ouvrir les yeux maintenant qu’il y en a partout. Avant, on n’aurait jamais pensé qu’il y aurait de l’exploitation sexuelle sur une rue résidentielle», souligne le lieutenant-détective Marc Desrosiers, qui se spécialise dans les enquêtes en exploitation sexuelle au Service de police de l’agglomération de Longueuil.

Si le proxénétisme peut survenir dans n’importe quel endroit, la discrétion permise par les séjours réservés via Airbnb préoccupe l’intervenante Jennie-Laure Sully.

«Ça passe sous le radar, définitivement. Il y a des cas de traite de personne dont il sera pas question, des cas de violence qui ne seront jamais connus», affirme-t-elle, en appelant les policiers à se pencher sur le dossier.  

Airbnb n’a pas répondu à nos questions. 

 

Des proprios peu collaboratifs ou ignorants

Les propriétaires d’Airbnb devraient apprendre à repérer les signes du proxénétisme, au même titre que les hôteliers, soutient une équipe spécialisée du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL)

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«On a encore beaucoup de chemin à faire sur la mobilisation des citoyens en général. Il y en a qui font de la location à court terme et qui ne connaissent pas la loi», constate l’agente Fannie Perras, membre d’une équipe spécialisée en exploitation sexuelle à Longueuil.

Elle voudrait bien leur faire un rappel, mais le manque d’information sur les Longueuillois actifs sur la plateforme lui complique la tâche.

«On n’a pas le décompte du nombre d’Airbnbs à Longueuil. Alors, rejoindre [les propriétaires] pour les sensibiliser, c’est pratiquement impossible», ajoute son collègue lieutenant-détective Marc Desrosiers.

Peu jasants

Ce dernier s’est aussi aperçu que certains propriétaires d’Airbnb se montrent peu enclins à collaborer quand une enquête est ouverte, contrairement à des chaînes d’hôtel qui ont un nom à protéger.

«Il y en a qui veulent juste des sous, et qui peuvent peut-être fermer les yeux [sur l’exploitation sexuelle]», illustre-t-il.

Dans au moins un cas sur lequel le SPAL a enquêté dans la dernière année, un réseau de Airbnbs appartenant au même propriétaire dans plusieurs régions était régulièrement utilisé à des fins de prostitution.

«On peut prétendre qu’il y a eu de l’aveuglement volontaire», complète Fannie Perras.

Pas au courant

D’autres proprios sont carrément ignorants des activités illégales qui ont lieu chez eux en leur absence, selon Me Vicky Powell, qui a défendu plusieurs proxénètes.

«Dans les tours à condo du centre-ville de Montréal, il y a beaucoup d’investisseurs étrangers. Et ils n’ont absolument aucune idée à qui ils louent», dit l’avocate. 

Or, les signalements d’activité suspecte sont essentiels pour que les policiers puissent surveiller les lieux attentivement avant qu’un proxénète emmène sa victime ailleurs.

Le va-et-vient inhabituel dans un logement ou la présence d’une jeune fille qui semble mineure ou violentée devraient mettre la puce à l’oreille du voisinage.

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