Pierre Lapointe s’ouvre sur la maladie de sa mère
L’album «Chansons démodées pour ceux qui ont le cœur abîmé» est disponible partout.
Patrick Delisle-Crevier
C’est au tour du coloré Pierre Lapointe de venir se poser dans notre tout aussi coloré fauteuil! Et nous avons deux bonnes raisons plutôt qu’une d’intercepter l’artiste entre deux vols Paris-Montréal: non seulement vient-il de lancer l’album Dix chansons démodées pour ceux qui ont le cœur abîmé, mais il occupe aussi le poste de professeur de musique de la nouvelle saison de Star Académie. Il nous parle de ce rôle qu’il adore, de ses 27 années de carrière, de ses jeunes années pas si heureuses et de ses amours, entre autres choses.
À lire aussi: Quel est le petit côté geek de Pierre Lapointe?
À lire aussi: Voici pourquoi Pierre Lapointe n'était pas à «Star Académie» ce soir
Pierre, tu as un début d’année chargé avec Star Académie, le lancement de ton nouvel album et ta tournée. Comment vis-tu ce tourbillon?
Sérieusement, je suis content, car ça faisait des années que j’attendais que ça reprenne à ce rythme-là. J’ai vécu des périodes d’affluence intense dans ma vie, entre autres, à l’époque de mon disque La forêt des mal-aimés, qui fut une période très folle. Alors, j’aime ça quand ça va vite. Je suis de très bonne humeur et ma vie va très bien, même sur le plan personnel. Il faut juste que je n’attrape pas une grippe ou un truc du genre. Comme l’engrenage est très serré, je n’ai pas le temps d’être malade, sinon je vais être dans la merde!
Tu me dis que ta vie va bien. Qu’est-ce qui va bien en particulier?
Je suis dans une période agréable, ma vie est douce, et je voyage beaucoup. Mon bonheur passe aussi beaucoup par le travail: j’éprouve une grande fierté et un grand plaisir à faire cette job. Mais mon bonheur ne doit pas juste passer par le travail. Ça, c’est une erreur que j’ai faite par le passé. Quand j’ai débuté avec Laurent Saulnier, mon gérant, il m’a dit: «Tu as fait sept projets musicaux en cinq ans, c’est trop. Tu dois laisser le temps au public de digérer tout ça.» Il avait raison. Mais c’est encore difficile pour moi de ralentir. Quand tu aimes ce que tu fais, tu ne comptes pas les heures, mais à un moment donné, ton corps te fait signe que ce n’est plus possible. Pendant des années, je trouvais que prendre des vacances était futile. Je prenais deux semaines en août parce que j’étais un peu obligé. Mais, la plupart du temps, je passais ce temps à écrire des chansons; je n’en avais rien à foutre de prendre des vacances. Là, je me suis obligé à en prendre pour vrai et ça m’a fait le plus grand bien! Maintenant, je suis de retour et content de reprendre le travail. Je fais Star Académie et j’en suis tellement heureux! Je suis aussi content et fier de présenter mon nouveau disque, Dix chansons démodées pour ceux qui ont le cœur abîmé, parce que c’est un album qui est prêt depuis un an et demi. J’avais hâte de le présenter. Je réalise aussi que j’ai arrêté de faire des spectacles pendant plus d’un an et demi, et ça m’a manqué. Tout ça m’aide à être heureux.
Te voilà professeur à Star Académie. À une certaine époque, c’est une chose que je n’aurais pas pu imaginer! Qu’est-ce qui a changé?
Oui, c’est vrai. Même que j’incarnais un peu l’anti-Star Académie. Mais je pense que La Voix a beaucoup changé les choses, parce que plusieurs artistes influents sont passés par là. Le fait que la production ait tendu la main à des gens comme Ariane Moffatt, Louis-Jean Cormier et moi, ça a changé les mentalités. Il y a aussi des artistes tels que Charlotte Cardin, Matt Holubowski et Dominique Fils-Aimé qui sont passés par ces émissions populaires. Alors, le travail a été bien fait par TVA, et la production de Star Académie, dont faisait partie Stéphane Laporte à l’époque. Ils ont réussi à équilibrer l’affaire et à donner moins dans la pop, et ça a fait du bien.
C’est toi qui t’est proposé pour faire Star Académie?
Oui, je voulais revenir soit à La Voix, soit à Star Académie. J’ai donc manifesté mon intérêt. Je m’ennuyais de la télévision et, après 25 ans de carrière, j’ai un bagage et un savoir que j’ai envie de partager.
Quel genre de professeur es-tu?
Je ne sais pas, je n’ai jamais été professeur. Mais quand je travaille avec des gens, c'est comme en couple, je tente toujours de m’adapter à chaque personne. J’éprouve du plaisir à découvrir l’univers de quelqu’un, que ce soit un livreur de pizza ou un professeur d’université. Ç’a été comme ça en amour, à une époque où j’étais plus volage. C’est comme ça en amitié et dans le travail aussi. Je veux aussi être un professeur qui stimulera ses élèves. Je veux qu’ils soient curieux et ouverts, qu’ils suivent leur instinct et écoutent leur petite voix. Je veux qu’ils se sentent bien. Pour moi, c’est important et précieux qu'on se sente bien partout et qu'on soit toujours en phase avec comment on se sent. Je vais laisser beaucoup de place à la spontanéité. Ils sont si jeunes, je me sens donc vieux! (rires) Je vais tenter de les accompagner de mon mieux.
Si tu avais 20 ans aujourd’hui, participerais-tu à Star Académie?
Aujourd’hui oui, mais à l’époque, je ne l’aurais pas fait parce que c’était surtout un concours de grandes voix. J’aurais été un extraterrestre là-dedans. Quand on écoute mon premier album, comment je chantais et comment je parlais, je n’aurais pas été à ma place à Star Académie. Ils m’auraient retourné chez moi tout de suite. Et puis, quand l’émission a commencé en 2003, j’avais déjà débuté ma carrière et signé avec Audiogram.
Quel regard jettes-tu sur le Pierre Lapointe des débuts?
Je me souviens que je travaillais très fort et, chose certaine, je n’aurais pas pu me rendre où je suis aujourd’hui si je n’avais pas travaillé comme un fou. Je dis ça, mais j’ai aussi l’impression que j’ai trop travaillé. J’étais épuisé. Mais j’ai un regard assez tendre sur celui que j’étais à l’époque. Je trouve ça super d’avoir réussi à faire tout ça d’instinct, sans vraiment avoir de grand modèle d’affaires. J’ai fait des choses qui me rendent assez fier et je trouve que j’avais une belle force de caractère. Avec le recul, je trouve qu’il y avait aussi en moi une grande part d’inconscience. Si j’avais été conscient de ce que je faisais comme je le suis aujourd’hui, jamais je n’aurais fait tout ça et je me serais probablement beaucoup plus autocensuré.
Qu’est-ce que tu censurerais?
Certains textes, que je trouve tout croches aujourd’hui. Je regarde certaines chansons et j’ai envie de dire à celui que j’étais de retourner travailler ses textes. C’est difficile aujourd’hui d’écouter mon premier album sans avoir des boutons et la nausée. Je l’écoute et je suis stressé quand je vois arriver certains passages. Mais tout ça est en phase avec ce que j’étais à l’époque.
Plus jeune, tu te destinais à une carrière en théâtre. Qu’est-ce qui a provoqué ce virage vers la musique?
Je ne voulais tellement pas le faire, ce virage! Ça ne me tentait pas, j’étais à l’école de théâtre et je rêvais de jouer dans Virginie et de faire la couverture de 7 Jours. Je voulais être Éric Bernier ou Robert Lepage: ils étaient mes modèles. Je voulais aussi faire de la publicité, de la mise en scène et de la mode. J’aimais aussi les parcours comme celui de Michel Rivard, qui a fait l’École nationale de théâtre, un peu de télé et de la musique. Tout ça m’allumait et, au final, je me suis retrouvé à chanter à Cégeps en spectacle. Ç’a été une découverte pour moi, car je n’avais jamais fait ça avant. J’ai gagné la finale locale, mais j’ai été recalé à l’étape suivante parce que j’étais trop weird. Mais le comédien Steve Laplante, qui était l’un des membres du jury, est venu me parler après. Il m’a permis de confirmer que j’avais ma place dans le métier, et j’en ai pleuré longtemps, parce que je me sentais validé par quelqu’un qui faisait partie de la gang. Finalement, j’ai été recalé de mon école de théâtre, et on m’a dit qu’il se passait quelque chose quand je chantais, que je devais explorer cette voie. J’étais un peu découragé parce que j’étais dyslexique et parce que je ne savais même pas lire la musique. Mais je me devais de foncer et d’explorer l’idée de la musique.
Quel genre d’enfant étais-tu?
Oh! mon Dieu! J’étais un enfant extrêmement joueur, avec une âme de vieillard sage anormalement mature et lucide pour son âge. Je suis encore exactement comme ça aujourd’hui. Tout est un jeu chez moi: il faut que tout soit drôle ou le fun, car quand c’est plate, je me fais chier. J’avais quelques amis proches avec qui je faisais des mauvais coups, mais j’étais aussi extrêmement solitaire. À l’école, je m’excluais moi-même parce que je ne me reconnaissais nulle part. Je n’étais pas très bon à l’école, mais les professeurs me classaient parmi les enfants parfaits qui allaient réussir, même s’ils étaient surpris que je n’aie pas de meilleures notes. J’étais un enfant très triste, avec deux parents très aimants et une grande sœur plus vieille de six ans, qui a quitté la maison tôt. Ma mère m’amenait au musée ou à la bibliothèque; elle m’a initié aux arts à un jeune âge.
Et l’adolescence?
J’étais un adolescent sage. Je pense que j’avais plus de 18 ans quand j’ai viré ma première brosse. J’avais trois jobs pour payer mes études, dont un au magasin à 1 $ de mes parents. Je n’étais pas tellement heureux. C’était compliqué, parce que j’étais un ado très lucide, très conscient, et je ne me sentais pas dans le bon contexte. J’étais gai dans un milieu hétéro et j’avais soif de culture: ça me sortait par les pores de la peau. Je dépensais tout mon argent de poche au Centre national des Arts ou dans l’achat de cassettes de musique. Dès que j’en avais le temps, je prenais l’autobus et j’allais voir des spectacles ou des expositions au Musée des beaux-arts de Montréal. Je rêvais de déménager à Montréal et, chaque fois qu’on passait sur le pont Jacques-Cartier, je pointais le quartier du centre-ville où je voulais habiter plus tard. C’est là où j’habite aujourd’hui.
Tu comptes 27 ans de carrière. Est-ce que ça se passe comme tu l’imaginais?
Il y a juste une affaire que j’imaginais et qui n’est pas arrivée encore: je croyais que je serais beaucoup plus connu en France et que j’aurais vraiment du succès. Finalement, je pense que j’étais trop français pour les Français. Je suis peut-être arrivé un peu trop tôt. Quand je suis à Paris, si on me reconnaît sept fois dans une semaine, c’est une grosse semaine. Parfois, je pense que le succès que j’ai eu ici est un peu un accident, et que c'est lié à la façon dont je m’habille, dont je parle et au produit que j’offre. J’ai appelé mon dernier disque Dix chansons démodées pour ceux qui ont le cœur abîmé parce que je ris un peu de moi, j’arrive avec un son qui est suranné. C’est drôle, car j’écris pour le prochain album de Julien Clerc, j’ai écrit deux morceaux pour Patrick Bruel et j’ai même écrit une chanson pour Calogero, qui est numéro un dans les radios, mais moi, on dirait que ce que j’incarne n’est pas encore en phase avec les Français.
Est-ce une frustration pour toi?
Non, c’est un amusement. Et je ne pense pas que le vent va tourner, même avec mon dernier album, qui obtient de bonnes critiques. Je ne sais pas si je vais un jour avoir du succès là-bas, mais ce n’est pas si grave, car c’est le fun de courir après quelque chose qui n’arrive pas. On court toujours après ce qu’on n’a pas. Quand mon gérant m’a annoncé qu’on ferait une supplémentaire de mon spectacle solo à la Maison symphonique, qui était complet, j’étais content et je lui ai répondu: «Ah, cool!» Mais quand il m’a annoncé que j’allais faire la petite première partie de Rufus Wainwright à la Salle Pleyel, en France, je capotais. J’étais euphorique et hystérique. Là-bas, je me retrouve comme un petit chanteur de 20 ans à qui tout reste à faire ou presque. J’ai l’expérience que j’ai tout en étant encore épaté et surpris, et c’est bien comme ça. Je pense que si le grand succès était arrivé, je serais probablement devenu un être blasé. (rires)
Parle-moi des chansons de cet album, Dix chansons démodées pour ceux qui ont le cœur abîmé?
Ce sont des chansons qui sont nées durant la pandémie. Je venais de terminer l’écriture de Chansons hivernales et je me suis dit: «Comme je n’ai pas besoin de chansons pour moi, je vais m’imaginer que j’écris pour d’autre monde.» Je me suis donc mis à écrire pour des chanteuses qui ont des voix plus grandes et plus belles que la mienne, pour des gars qui n’ont pas du tout ma voix, et je voulais aller piger dans la grande chanson française. J’avais donc mes chansons françaises pour d’autres sous le bras et je me suis rendu compte que c’était l’album de grandes chansons françaises que j’avais envie de faire. J’ai alors appelé Philippe Brault, et nous nous sommes plongés là-dedans à cent miles à l’heure, sans aucune barrière et sans compromis. Puis la chanson sur ma mère est arrivée, et tout s’est mis en place. Le disque devait sortir en septembre, et voilà qu'il arrive en janvier. Je suis fier de cet album qui porte beaucoup d’émotions.
Tu as écrit la chanson Comme un pigeon d’argile pour ta mère, qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer. J’ai été surpris, car tu te révèles rarement sur ta vie privée. Pourquoi l’avoir fait?
Effectivement, je me suis surpris moi-même en parlant de la maladie de ma mère, en la nommant et en montrant même un petit coin de son œil ainsi qu’une photo d’elle à l’âge de 14 ans. Pour moi, c’est beaucoup, mais il y a eu une sorte d’abandon. J’ai demandé à ma sœur et à mon père si c’était correct de parler ouvertement de la maladie de ma mère dans une chanson, et les deux m’ont répondu que ça allait faire du bien. Je me suis aussi dit que ça allait aider des gens. Ma mère m’en a parlé aussi. C’est comme une décision de famille de parler de ce sujet qui nous touche et qui touche aussi beaucoup de personnes. Souvent, je ne parle pas de certains aspects de ma vie par pudeur. J’ai brassé toute ma peine sur la maladie de ma mère pendant deux ans, et le disque sort à un moment où je suis vraiment plus apaisé par rapport à ça.
Tu es en couple avec un homme depuis assez longtemps, et pourtant, tu gardes ça presque secret. Pourquoi?
C’est une décision que nous avons prise ensemble. Nous ne voulons rien savoir d’afficher notre relation au grand jour, et pourtant, on a eu des offres. On pourrait tous les deux rouler là-dessus, mais ça ne nous intéresse pas. Mon chum ne veut rien savoir d’être exposé de la sorte. Et puis, ma famille est mon sanctuaire. Chez nous, c’est un espace sacré et rien ne sort d’ici.
En terminant, de quoi ton année sera-t-elle faite?
Il y a Star Académie, bien sûr, et il y a aussi des spectacles jusqu’en septembre; c’est la première phase de la tournée. Il y aura une dizaine de dates en France, ensuite je vais aller chanter au Japon dans le cadre de l’Exposition universelle d’Osaka et je vais en profiter pour prendre des vacances.