[EN IMAGES] L’Office du film du Québec: quand l’État se met en scène


Bibliothèque et Archives nationales du Québec (collaboration spéciale)
Les années 1960 et 1970 constituent une époque mythique dans l’inconscient collectif québécois. La désormais célèbre Révolution tranquille a signifié l’entrée du Québec dans la modernité, le plaçant sur le même pied que les autres nations développées de l’Occident. Cette poussée de progrès social et culturel a été en grande partie stimulée par l’État, dans un mouvement de balancier qui répliquait aux années de noirceur conservatrice du gouvernement Duplessis.
Un organisme méconnu
Méconnu du grand public, l’Office du film du Québec (OFQ), créé par l’État québécois, a joué un rôle de premier plan dans la construction de l’image de la modernité. Fréquemment confondu avec l’Office national du film du Canada (ONF), l’OFQ a documenté, par le biais de ses cinéastes et photographes, la vie du Québec urbain et rural des années 1960 et du début des années 1970.
C’est donc un témoignage unique sur le développement du Québec tel qu’on le connaît aujourd’hui que contiennent les milliers de mètres de pellicule que Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) conserve et met à la disposition de la population.

Cinéma et propagande
Déjà dans les années 1920-1930, l’administration québécoise utilise le cinéma – alors un média relativement nouveau – à des fins éducatives. Que ce soit pour instruire les gens dans le domaine de l’hygiène (par exemple pour prévenir les infections transmissibles sexuellement ou la tuberculose) ou de l’enseignement agricole (drainage, culture fruitière), l’État saisit assez rapidement l’occasion qui se présente pour transmettre son message au public.
Le cinéma peut aussi servir en tant que moyen d’éducation civique lors de périodes historiques troubles. Pendant la Seconde Guerre mondiale, par exemple, le gouvernement transmettra sur grand écran des communiqués de propagande à la population en vue de soutenir l’effort de guerre.
L’ancêtre de l’OFQ: le Service de ciné-photographie

Fondé en 1961, l’OFQ a un ancêtre direct depuis 1941: le Service de ciné-photographie du Québec.
Ce service – qui visait à regrouper et à diffuser la production filmique et photographique du gouvernement provincial – a agi en tant que véhicule idéologique de l’Union nationale, le parti politique qui était alors au pouvoir.
En effet, les films québécois des années 1940 et 1950 mettent surtout en valeur la vie paysanne et la religion catholique, symboles du conservatisme prôné par Maurice Duplessis, le chef de l’Union nationale.
Les prêtres cinéastes
Le fait que les cinéastes québécois les plus connus de cette époque aient été des religieux peut surprendre. Il faut se rappeler, toutefois, que les hommes d’Église représentaient alors une partie de l’intelligentsia de la province: ils détenaient les clés du savoir officiel.
Parmi les nombreux prêtres cinéastes québécois qui ont marqué leur époque, les deux principaux sont Maurice Proulx et Albert Tessier. Tous deux ont travaillé pour le Service de ciné-photographie en tant que pigistes.

Maurice Proulx
Agronome, l’abbé Proulx fut aussi un artiste autodidacte. Fasciné par le cinéma, il en apprend les rouages par lui-même. Il se rend compte très tôt du pouvoir éducatif du septième art.
Cette nouvelle technique attire les masses, ce qui permet de leur communiquer de l’information. Le dynamisme des images en mouvement dépasse de loin l’inertie des mots inscrits sur une page ou les discours ecclésiastiques parfois ronflants. Dans ce sens, l’approche de l’abbé Proulx est avant-gardiste, ce qui peut sembler paradoxal venant d’un tenant de la tradition.
Maurice Proulx consignera notamment le processus de colonisation de l’Abitibi et de la Gaspésie, s’intéressant aux peuples autochtones qui vivaient dans ces contrées. Il est aussi le cinéaste attitré de Maurice Duplessis, soulignant dans ses films les réalisations du gouvernement.
Les films de l’abbé Proulx, désormais conservés par Bibliothèque et Archives nationales du Québec, peuvent être visionnés en ligne ici.

Albert Tessier
Le second religieux qui a eu une importance majeure dans la production cinématographique québécoise est l’abbé Albert Tessier.
Originaire de Trois-Rivières, il s’intéresse au cinéma dès les années 1920, alors qu’il n’est qu’un jeune homme. Dès qu’il acquiert sa première caméra, il se tourne vers la campagne québécoise pour témoigner des coutumes et du travail des paysans.
Il s’intéresse aussi à la vie en ville – en filmant, par exemple, Trois-Rivières sous la neige –, à l’éducation religieuse et à l’artisanat.
Au Québec, ses films peuvent être considérés comme les ancêtres du «cinéma direct» (ou «cinéma-vérité»), courant filmique qui cherchait à capter la «réalité» de la manière la plus immédiate possible.
Cela impliquait, notamment, l’utilisation de caméras légères, pouvant être portées sur l’épaule. Ce format facilitait le déplacement sur le terrain et donnait un résultat très différent des productions cinématographiques en studio.
Les films de l’abbé Albert Tessier peuvent être consultés en ligne ici.
La naissance de l’OFQ
La naissance officielle de l’OFQ, en 1961, coïncide avec le début du gouvernement de Jean Lesage et de la Révolution tranquille. L’OFQ est le prolongement historique du Service de ciné-photographie.
L’OFQ sera responsable, de 1961 à 1976, de produire, d’acheter et de distribuer les photos et les films d’information destinés à la population par le gouvernement québécois.

Les productions de l’OFQ sont financées directement par des ministères – comme celui des Transports, des Affaires culturelles, du Tourisme ou de l’Industrie et du Commerce.
Ce lien entre cinéma et politique n’est pas nouveau, mais c’est le contexte historique de l’OFQ qui en accentue l’importance. Produit du nouvel État québécois, il voudra aussi en être le reflet.
Les prêtres cinéastes avaient montré le pouvoir du cinéma documentaire à des fins de propagande. Les jeunes réalisateurs de l’OFQ suivront leurs pas, inspirés par l’effervescence mondiale que vit le septième art pendant les années 1960. Leurs œuvres se voudront à la fois ambitieuses et ludiques, libérées du carcan doctrinaire.
L’OFQ exposera donc le Québec en pleine ébullition des années 1960 et 1970. Y règnent le dynamisme, la technologie, le commerce, les loisirs. Tout à coup, Montréal n’a plus rien à envier aux grandes villes du monde.
Les gratte-ciel se dressent fièrement à l’horizon, des cargos tonitruants accostent au port, la vie nocturne y est trépidante.

Or, le Québec ne se résume pas à Montréal, loin de là. Les productions de l’OFQ présenteront aussi la richesse des ressources naturelles. Les vastes forêts, les mines, l’agriculture, les barrages hydroélectriques.
On voudra démontrer au peuple québécois et au reste du monde que le Québec est une nation fière et puissante, pluraliste et laïque, qui vaut la peine d’être habitée, visitée, et où on peut investir.
L’âge d’or de l’OFQ se situe entre les années 1963 et 1968, c’est-à-dire une période de grandes réalisations sociétales québécoises, comme l’Expo 67, dont le Pavillon du Québec, fierté de Jean Lesage, sera abondamment documenté par les artisans de l’OFQ.
La série OFQ à BAnQ
Les archives de l’OFQ sont conservées par BAnQ aux Archives nationales à Québec et à Montréal, dans le fonds Ministère de la Culture et des Communications. Le versement des documents s’est fait en 1983, lorsque l’OFQ a mis la clé sous la porte.
En raison de sa vocation de gardienne de la mémoire collective québécoise, Bibliothèque et Archives nationales du Québec est tout indiquée pour conserver les joyaux qui constituent la série Office du film du Québec.
Aux Archives nationales à Montréal sont conservées environ 120 000 photographies et aux Archives nationales à Québec, environ 160 000, ainsi que les quelque 2500 films qui ont été réalisés par l’OFQ.

Les photos de l’OFQ
Les photos qui font partie de la série Office du film du Québec offrent un témoignage unique de la grande et de la petite histoire.
Les sujets couverts sont divers, apparemment fortuits. On peut y voir des expositions agricoles, la construction de ponts, des défilés de mode, des repas communautaires, ainsi que les paysages de Charlevoix et des Îles-de-la-Madeleine, afin de les mettre en valeur pour le tourisme.
Or, l’aspect documentaire de cette série de photos se retrouve également dans la couverture d’événements ayant marqué l’histoire du Québec, comme les Jeux olympiques de 1976 ou l’inauguration du métro de Montréal.
Les photographes envoyés aux quatre coins du Québec par l’OFQ y ont perfectionné leur art au gré de leurs différents contrats. La plupart d’entre eux ont même acquis une notoriété considérable et font partie de la liste des grands photographes québécois du XXe siècle.
Gabor Szilasi
Parmi eux, on trouve Gabor Szilasi, qui, après une jeunesse tragique marquée par la guerre en Hongrie, a décidé de s’installer au Québec à la fin des années 1950.

Les photos de Szilasi nous permettent de voir la configuration et l’ambiance de Montréal à cette époque:

Elles mettent aussi en scène des moments en apparence banals, mais qui, à l’aide du cadrage et du travail sur la lumière, sont magnifiés:

Son œuvre témoigne, parallèlement, de moments critiques de l’histoire québécoise, comme la crise d’Octobre 1970:

Il a aussi photographié d’autres artistes à l’œuvre, comme ici l’illustrateur et poète montréalais Roland Giguère:

Henri Rémillard
Un autre photographe renommé ayant travaillé pendant plusieurs décennies au sein de l’OFQ est Henri Rémillard, décédé en décembre 2024, dont le fonds d’archives est conservé aux Archives nationales à Montréal.
Mandaté par son employeur, Rémillard parcourt le Québec afin d’immortaliser des moments de l’histoire à la fois simples et évocateurs.
Ainsi, Rémillard a capté la beauté des parcs naturels:

Il s’est intéressé à l’architecture alambiquée du système routier:

L’objectif de sa caméra s’est penché également sur le transit des passagers dans le métro de Montréal:

Et sur des scènes se déroulant dans les rues de la métropole:


Enfin, le souci d’une construction artistique de l’image est palpable dans des photos comme celle-ci:

Les films de l’OFQ

L’OFQ cherchera à ajouter une valeur artistique à la fonction d’information de ses films. Ses documentaires témoignent d’un souci stylistique propre aux œuvres de fiction.
Le cadrage, le montage et les effets sonores proposent au spectateur un langage cinématographique rigoureux. La plupart du temps, une voix off omnisciente complète les images et transmet le message politique voulu.
Certains cinéastes engagés par l’OFQ auront de grandes carrières quelques années plus tard. On trouve, parmi eux, Denys Arcand, Gilles Carle et Arthur Lamothe.
Voici quelques-uns de ces films.
Montréal, un jour d’été (1965)
Denys Arcand affûte ses armes de jeune cinéaste avec ce montage présentant la métropole québécoise sous tous ses angles. Le portrait diversifié d’une époque révolue.
Le Québec à l’heure de l’Expo (1968)
Dans ce film de Gilles Carle, la mise en valeur de l’Expo 67 sert de prétexte pour livrer une critique de la modernité. Le montage saccadé, les gros plans et le ton ironique rappellent les films de la Nouvelle Vague française.
La route du fer (1972)
La route du fer, d’Arthur Lamothe, cinéaste qui se spécialisera ensuite dans l’étude des peuples autochtones du Québec, retrace l’histoire du chemin de fer reliant les gisements de fer du Labrador à Port-Cartier. Les plans accélérés de la caméra placée au-dessus des wagons du train frappent l’esprit. Le fonds Arthur Lamothe est conservé aux Archives nationales à Montréal.
La fin de l’OFQ
L’OFQ est un organisme unique en son genre dans l’histoire du Québec. Il a permis de définir l’État moderne québécois dans l’imaginaire collectif. Il révèle également l’alliance à première vue inattendue entre de hauts fonctionnaires et de jeunes artistes.
L’importance accordée à l’OFQ et, par conséquent, son indépendance ont commencé à décroître à la fin des années 1960. L’OFQ est ainsi annexé au ministère des Affaires culturelles en 1967 et au ministère des Communications en 1975. Ayant perdu de sa superbe depuis belle lurette, l’OFQ est aboli en 1983.
Un texte d’Edwin Bermudez, archiviste, Bibliothèque et Archives nationales du Québec
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Sources :
- Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Fonds Ministère de la Culture et des Communications, série Office du film du Québec.
- COULOMBE, M. et JEAN, M. Le dictionnaire du cinéma québécois, Montréal, Boréal, 2006.
- LEVER, Y. Histoire générale du cinéma au Québec, Montréal, Boréal, 1995.
- ROBERT, M.-A. L’Office du film du Québec : le cinéma au service de l’État et de ses citoyens, Québec, Septentrion, 2024.