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L'article provient de Le Journal de Québec
Société

Pères violents et DPJ: des mères en détresse sortent de l’ombre

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Florence Lamoureux

2024-01-22T18:59:48Z
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À la suite des révélations de QUB à propos de femmes victimes de violence conjugale ayant perdu la garde de leur enfant, la station a reçu plus d’une soixantaine de témoignages de mères paniquées et découragées du système «qui a failli à protéger leur enfant d’un père violent». 

Rappelons que ces mères sont étiquetées comme «aliénantes» par la DPJ, c’est-à-dire qu’elles «se livreraient à des comportements qui influencent l’esprit de l’enfant afin de favoriser chez lui le rejet injustifié de l’autre parent».

Tous ces témoignages, dont plusieurs sont accompagnés de rapports médicaux, rapports d’évaluation et rapports de justice, ont mis en lumière le nombre élevé d’enfants qui se trouvent actuellement sous la garde d’un père violent.

Un autre élément préoccupant : plusieurs femmes ont mentionné que si tout était à refaire, elles n’auraient «jamais demandé l’aide de la DPJ, ou même dénoncé leur conjoint violent».

Quelques témoignages de mères

«Dans le système actuel, nous, les mamans victimes de violence conjugale, nous ne pouvons pas réellement partir et surtout, nous ne pouvons pas dénoncer. Partir ou dénoncer, c’est risquer de perdre la garde de nos enfants, ceux que nous voulons protéger avant tout.»

«Pour une mère et ses enfants, il est plus dangereux que jamais de quitter un conjoint violent.»

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«J’ai moi-même fait le signalement à la DPJ et ça m’est revenu dans la face. Je pensais que mon enfant allait être protégé de son père.»

«Avoir su l’enfer que je vis maintenant, je n’aurais jamais suivi les conseils d’un organisme en violence conjugale et porté plainte contre mon mari et père de mon enfant.»

«La DPJ a fermé un signalement pour abus sexuel, alors que ma fille de 6 ans a dit à son médecin que son père lui faisait des attouchements. Après une rencontre avec ma fille, comme elle ne lui a pas mentionné l’abus, l’intervenante a conclu que ce n’était pas fondé. L’intervenante a même ajouté qu’elle avait des inquiétudes quant aux abus sexuels que JE pouvais faire sur mes enfants.»

  • Écoutez le résumé de la journaliste Florence Lamoureux et Me Valérie Assouline prodiguer des conseils aux parents au pris dans une situation semblable via QUB :

Un monde parallèle

Plusieurs mamans qui se sont fait retirer la garde de leurs tout-petits et qui ont actuellement un dossier ouvert à la DPJ étaient prêtes à venir témoigner en studio à QUB.

Cependant, la Loi sur la protection de la jeunesse est claire: rien ne doit être fait qui pourrait révéler l’identité de l’enfant pris en charge par la DPJ.

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Des mères qui ont communiqué avec QUB pour raconter leur histoire sont complètement terrifiées «que la DPJ revienne dans leur vie» si elles racontent publiquement leur expérience.

«Quand ils ont fermé le dossier, ils ont quand même dit qu’ils pourraient revenir», a affirmé une mère qui a finalement pu retrouver la garde de son enfant après que son ex-conjoint eut commis des actes de violence verbale et exprimé des menaces devant une intervenante de la DPJ.

«Ça va changer»

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Lionel Carmant, avait affirmé en mars 2023 que les choses allaient changer. Il faisait référence aux changements prévus dans la Loi de la protection de la jeunesse (LPJ) qui entraient en vigueur le 26 avril dernier.

Cette réforme, qui était très attendue, définit désormais «l’exposition à la violence conjugale comme un motif de compromission spécifique», ce qui veut dire que l’on reconnaît que l’impact de l’exposition à la violence sur les enfants, qui persiste très souvent même après la séparation, met réellement en péril leur bien-être.

Sur papier, cela a effectivement changé, mais pas sur le terrain, où de graves lacunes sont toujours observées dues au manque de formation des intervenants, selon plusieurs.

« On est vraiment inquiets. Il faut absolument que les intervenants aient accès à une formation profonde sur le contrôle coercitif, sur le conflit de séparation et la problématique de l’aliénation en contexte de violence conjugale », a expliqué Mathilde Trou, coresponsable des dossiers politiques au regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

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La montée fulgurante des dossiers inquiète les organismes en violence conjugale, les avocats et l’ex-vice-président de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, André Lebon.

«On dit mettre l’intérêt de l’enfant de l’avant, mais on en fait une utilisation vide de sens», a souligné M. Lebon.

«J’ai de plus en plus de dossiers avec le même schéma. Les femmes se font soupçonner d’avoir des comportements aliénants et on leur retire la garde, car on les accuse d’être la raison de l’angoisse de l’enfant face à l’autre parent», a indiqué Me Gabriel Larose, avocat en Droit familial et en Protection de la jeunesse.

C’est le même son de cloche de la part de Me Nada Boumeftah. «On pourrait en faire un balado tellement il y a de choses à dire», a mentionné l’avocate en Droit criminel et pénal, ainsi qu’en Protection de la Jeunesse.

  • Écoutez la réaction de Brigitte Garceau, députée libérale et porte-parole de l'opposition officielle pour la protection de la jeunesse via QUB :

Des appels à l’aide

Les mères exhortent le ministre Carmant à prendre la situation au sérieux et surtout à agir rapidement.

«Entre-temps, il y a des vies d’enfants détruites, des enfants qui sont renvoyés dans le foyer violent tout en subissant les conséquences graves de la coupure du lien d’attachement avec leur figure principale d’attachement et de sécurité. À cause de ce système défaillant, des mères ne partiront pas de leur foyer violent. Elles resteront et continueront d’être abusées. Et leurs enfants aussi», a plaidé une mère dans une lettre envoyée à Lionel Carmant ainsi qu’au premier ministre, François Legault, et au ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette.

Le cabinet du ministre Lionel Carmant n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevues pour l’instant. Cependant, son porte-parole Lambert Drainville a répondu: «Pensez-vous vraiment qu’un homme qui a été violent avec sa femme deux ans avant va nécessairement être violent avec son enfant?»

L’opposition préoccupée

«La situation dépeinte dans les articles est profondément préoccupante. Les cas où des mères victimes de violence conjugale se voient retirer la garde de leurs enfants en raison d’accusations d’aliénation parentale soulèvent des questions sérieuses sur le système de protection de la jeunesse. Il est impératif que le ministre Lionel Carmant réponde à ces préoccupations et prenne des mesures immédiates pour assurer la sécurité des enfants et protéger les droits des mères dans de telles circonstances.» - Brigitte Garceau, députée libérale et porte-parole de l’opposition officielle pour la protection de la jeunesse.

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