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L'article provient de TVA Nouvelles

Pensionnats autochtones: des excuses sont-elles suffisantes?

« Le drame autochtone, parfaitement indiscutable, devrait être campé avec autant de rigueur que les autres tragédies. »
« Le drame autochtone, parfaitement indiscutable, devrait être campé avec autant de rigueur que les autres tragédies. » Photo d'Archives AFP
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Frankie Bernèche - Ph.D. Professeur de Psychologie

2022-07-27T09:06:06Z
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La tragédie des placements forcés d’enfants autochtones dans des pensionnats du Canada a été longtemps passée sous silence. Et ce n’est qu’en 1991 que le dernier pensionnat fermait définitivement ses portes au Québec.  

Aujourd’hui, avec le recul, ces pensions obligatoires pour jeunes autochtones dépassent l’entendement. Des milliers d’enfants ont été enlevés (parfois de force) de leur mère et père et plusieurs d’entre eux n’en sont jamais revenus. 

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Une tragédie humaine

Imaginez ce drame dans votre propre vie. Il n’y a pas plus fort traumatisme pour un parent que l’enlèvement d’un de ses enfants. Qui plus est, alors que ces séparations ne sont pas accidentelles, mais institutionnalisées et permises par les gouvernements en place. 

Or, lorsqu’un parent perd un enfant, tout son monde s’écroule. En fait, rien ne fait plus mal que de perdre un enfant, car notre niveau d’attachement envers lui est incommensurable. 

Les effets psychologiques les plus visibles à la suite d’une telle perte impliquent des conséquences au point de vue de la capacité future des parents endeuillés à développer de nouvelles dispositions d’attachement. Il s’agit là d’un mécanisme adaptatif « de survie » tout à fait adapté aux circonstances. Comme si le parent souffrant se protégeait de toutes autres éventuelles douleurs en ne s’attachant plus à aucune autre personne dans sa vie. 

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Les études en psychologie montrent également que les individus traumatisés par de tels événements ont tendance à développer des idées dépressives (repliement sur soi, symptômes amotivationnels), voient l’avenir sombre et avec méfiance (troubles anxieux, pessimisme), ont tendance à s’isoler et développement plusieurs troubles d’adaptation (agressivité, dépendance aux drogues, itinérance, idées suicidaires, etc.). 

Des effets à long terme

Plusieurs de ces parents autochtones endeuillés sont donc restés marqués à vie par leur perte, ce qui a gravement conditionné leurs habiletés parentales à pouvoir s’occuper de leurs autres enfants survivants. On parle alors d’effets intergénérationnels des déficits de l’attachement occasionnés par de graves traumatismes. 

Certains Autochtones estiment que ces effets intergénérationnels vont durer au moins sept générations. À mon avis, ils sont plutôt optimismes, car tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas pleine et entière guérison, les effets négatifs des troubles de l’attachement peuvent perdurer indéfiniment. 

La vraie guérison

La vraie guérison pour le peuple autochtone (comme pour tout autre individu profondément blessé) est nécessairement liée au support psychologique qui sera mis en place pour les accompagner. 

Dans de pareilles circonstances, plusieurs étapes sont nécessaires afin de guérir et de retrouver des forces adaptatives. Une de ces étapes est d’arriver à s’éveiller pleinement aux vécus passés (ce que le peuple autochtone est en train de faire). Par la suite, il faut arriver à revivre émotivement tous les bouleversements affectifs associés à ces vécus. Tout en étant bien accompagnés, cet « éveil à la souffrance » permet de replonger dans des émotions douloureuses (peur, colère, tristesse, etc.) qui nous habitent toujours et qui contaminent l’ensemble de notre vie adulte. 

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En fait, nous ne pouvons pas y arriver autrement, le rétablissement réside dans notre affectivité. Pour guérir, il faut ouvrir notre « canal affectif », car c’est par ce canal que nos blessures se sont inscrites. 

Or, pleinement éveillé au passé et à notre souffrance, il devient alors possible de « passer à l’action ». C’est-à-dire de devenir le principal artisan de notre changement. Passer à l’action implique premièrement de dévoiler au grand jour ce que nous avons vécu, et ce, sans sentiment de culpabilité ou de honte. Puis, demander réparation à ceux qui nous ont offensés. Cette réparation passe bien sûr par le fait que « l’agresseur » reconnaisse sa responsabilité (l’objet principal de la visite du pape) mais cela n’est pas suffisant. Le responsable de nos souffrances doit aussi offrir de réparer tous les effets négatifs que ses agissements ont engendrés. À cet effet, l’Église semble s’orienter dans la bonne direction en parlant d’une « première étape » avec la venue du Saint-Père. Reste donc à savoir comment cela prendra forme. 

Le peuple autochtone retrouvera sa dignité. En prenant les choses en main comme il est en train de faire, il prend conscience qu’il est responsable, non pas de ce qui lui est arrivé, mais de ce qui arrivera à partir de maintenant. Il a été victime certes dans le passé, mais aujourd’hui, il tient les guides pouvant améliorer son avenir. Et nous devons être de tout cœur avec eux (en désapprouvant haut et fort toute forme de racisme), car ils ont besoin de notre appui comme nous-mêmes en aurions besoin. 

Photo fournie par Frankie Bernèche
Photo fournie par Frankie Bernèche

Frankie Bernèche, Ph.D. Professeur de Psychologie, Trois-Rivières

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