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L'article provient de Le Journal de Montréal
Opinions

Patient, pas patient ?

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Photo portrait de Jacques Lanctôt

Jacques Lanctôt

2021-10-29T15:33:57Z
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J’ai longtemps cru que le monde se divisait entre patients et impatients. Entre pas pressés et pressés. Je m’identifiais au second groupe. Ce que je désirais, je le voulais hic et nunc, ici et maintenant. Pas question d’attendre à demain. Cela m’a valu bien des déboires, comme on peut l’imaginer, car ce sont bien souvent des décisions où je ne réfléchissais pas très longtemps. J’étais l’homme aux coups de foudre, qui furent nombreux dans mes multiples vies.

Au début des années 1960, alors que je n’étais pas encore tout à fait sorti de l’adolescence, je fus littéralement emporté dans le tourbillon du renouveau politique qui soufflait alors sur le monde, en général, et sur le Québec en particulier. Ici, on appelait cela la Révolution tranquille. Elle allait connaître des périodes moins tranquilles grâce à quelques impatients.

L’indépendance du Québec devint le thème majeur de nos discussions. Pour moi, c’était une question de quelques années. Pour être bien certain d’y arriver, nous avons décidé d’accélérer le cours de l’histoire, de prendre des raccourcis. Même René Lévesque ou Jacques Parizeau, je ne sais plus lequel des deux, dira des militants du FLQ, en 1970, qu’il s’agissait de jeunes gens pressés, ce qui revenait à dire que sans vouloir approuver nos actions violentes, il comprenait néanmoins nos impatiences.

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Les révolutionnaires ont toujours été des gens pressés, il me semble, ceci dit sans porter de jugement de valeur. Lorsqu’on demeure les bras croisés, en observateur, on n’arrive à aucun résultat. Il fallait donc se cracher dans les mains, et agir au plus vite. Nous en faisions une question de vie ou de mort! Patria o muerte ! Les Québécois aspiraient à l’indépendance, cela ne faisait aucun doute pour nous, et notre histoire de luttes et de résistance face à l’ennemi anglais pendant plus de deux cents ans nous le prouvait amplement. Sinon, il y a belle lurette qui nous aurions perdu notre identité, notre langue et notre culture, ce qu’on appelle la québécitude. Nous nous inscrivions donc dans la lignée de nos ancêtres patriotes qui, eux aussi, s’étaient sentis pressés d’agir et avaient pris les armes.

J’ai découvert la patience et ses vertus quelques années plus tard. Je venais d’arriver à Cuba pour un exil qui n’allait durer que quelques mois, pensait alors l’impatient que j’étais, mais qui en réalité allait durer près de dix ans. J’étais pressé de revenir au Québec pour poursuivre le combat et je comptais les jours. Nous devions rencontrer le responsable de notre séjour dans l’île socialiste, le commandant Manuel Piñeiro, dit Barba Roja, qui allait décider de notre avenir.

Grosso modo, nous demandions trois ou quatre choses aux Cubains : recevoir un court entraînement militaire à la guérilla urbaine style Tupamaros, visiter rapidement le pays pour pouvoir apprécier les réalisations de la jeune révolution cubaine — tout était nouveau pour nous qui mettions pour la première fois les pieds dans un pays du tiers monde —, l’octroi de fausses identités avec passeports, faciliter notre retour clandestin au pays et, finalement, pouvoir réaliser du travail volontaire, comme participer à la zafra (la coupe de la canne à sucre), en guise de remerciement pour l’accueil chaleureux dont nous bénéficions (nous étions hébergés dans un joli hôtel avec piscine, toutes dépenses payées, y compris les consommations au bar de l’hôtel, et pour des prolos comme nous, c’était une sorte de paradis). Mais tout cela devait se faire rapidement car j’étais pressé.

À suivre...

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