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L'article provient de 24 heures

Pas la faute aux immigrants: les vraies causes (et solutions) de la crise du logement qui va continuer en 2025

Photomontage Benoit Dussault
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Photo portrait de Sarah-Florence  Benjamin

Sarah-Florence Benjamin

2025-01-13T12:00:00Z
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Partout au Québec, la crise du logement s’est intensifiée en 2024. Mauvaise nouvelle: 2025 ne s’annonce guère mieux. Entre François Legault qui déclare que «100%» de la crise est causée par l’immigration temporaire et les élus de tous les paliers de gouvernement qui se renvoient la balle, difficile de démêler le pourquoi du comment. Pour mieux comprendre les causes (et leurs solutions) à la crise du logement, 24 heures s’est entretenu avec deux journalistes et des experts.

Les causes sont nombreuses

Des décennies de désinvestissement

Pendant des décennies, les gouvernements ont fait le choix de ne pas investir dans le logement. On en paye aujourd’hui le prix: le retard à rattraper est immense.

Lorsque les gouvernements ont choisi de couper dans les impôts, ils se sont aussi privés de sommes importantes qui auraient pu être investies à cet effet, déplore le journaliste indépendant Isaac Peltz. Lui et sa collègue Gabrielle Brassard-Lecours mènent une enquête sur la crise du logement.

Le privé, de son côté, n’a pas pu compenser pour le manque de logements abordables provoqué par le désinvestissement des gouvernements, souligne Louis Gaudreau, professeur à l’École de travail social de l’UQAM.

«La stratégie du privé n’a pas répondu aux besoins des plus pauvres et, maintenant, de plus en plus de monde», regrette-t-il.

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Les inégalités de richesses

Le creusement des inégalités est un des facteurs trop rarement évoqués pour expliquer la crise du logement, déplore Olivier Jacques, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

«Quand l’écart entre les riches et les pauvres s’accentue, comme on le voit depuis les années 90, une partie de la population se retrouve avec une plus grande capacité d’achat, ce qui fait monter les prix», explique-t-il.

Et pendant ce temps, le pouvoir d’achat des plus pauvres diminue.

Photo courtoisie d'Olivier Jacques
Photo courtoisie d'Olivier Jacques

Les programmes d’aide à l’achat de propriété

Le gouvernement canadien est «un champion pour aider les gens à acheter une propriété», lance Olivier Jacques. Si le choix de faciliter l’accès à la propriété est une bonne idée à première vue, il contribue à aggraver la crise du logement, dit-il. 

C'est parce que les programmes de subventions à l’achat (RAP, CELIAPP, crédits d’impôt) permettent aux acheteurs d’opter pour des propriétés plus chères. Ultimement, ça fait monter les prix.

De telles politiques bénéficient encore une fois aux plus riches qui, par exemple, peuvent «épargner 76 000$», mentionne Olivier Jacques. «Ce sont des dépenses publiques qui vont à des citoyens privilégiés», précise-t-il, tout en rappelant que ces mesures privent l’État d’argent qui pourrait servir à financer du logement social.

L’immobilier comme «valeur refuge»

Pour plusieurs personnes, une propriété est une «valeur refuge» permettant d'assurer leur retraite, rappelle Louis Gaudreau. Ces propriétaires ont ainsi intérêt à ce que les prix de l’immobilier restent élevés ou augmentent, poursuit-il.

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En gros: plus leur maison vaut cher, plus ils sont assis sur un gros montant.

Louis Gaudreau
Louis Gaudreau UQAM

Le professeur Olivier Jacques montre également du doigt la non-imposition du gain en capital sur la résidence principale. Sans impôt sur le gain sur le capital, il est plus facile d’acheter une propriété au-dessus de ses moyens pour ensuite la revendre à profit. Une telle pratique participe à la hausse générale des prix, mentionne-t-il.

L’offre et la demande

Des taux d’inoccupation plus élevés ne riment pas nécessairement avec une baisse des prix.

«Si on regarde les années où le taux d’inoccupation à Montréal était bien en haut de 3%, on constate que ça n’a pas eu d’effet sur les prix, qui sont restés ascendants», illustre Louis Gaudreau.

Photo d'archives Agence QMI, Joël Lemay
Photo d'archives Agence QMI, Joël Lemay

Et même s’il y a davantage de constructions dans la métropole ces dernières années, il est encore difficile pour bien du monde de se loger à bon prix.

«On assiste à un haut niveau de nouvelles mises en marché dans la région de Montréal, mais ce ne sont pas des logements qui répondent aux besoins. C’est dans le logement abordable qu’il y a de l’indisponibilité», souligne le professeur en travail social.

Selon un rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), le taux d’inoccupation pour les logements locatifs à moins de 1150$ par mois était de moins de 1% à l’automne 2024. Celui pour les logements à 1675$ et plus dépassait les 5%.

Des politiciens propriétaires

Gabrielle Brassard-Lecours et Isaac Peltz reprochent à la classe politique d’être déconnectée de la réalité de bon nombre de locataires québécois.

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«Nos politiciens, tous partis confondus, bénéficient de l’augmentation du coût du logement. On nous dit que si on descend le prix des logements, on va faire descendre le PIB et que ce sera la crise économique, mais, pour les locataires, c’est déjà la crise», affirme Isaac Peltz.

«L’indice que notre société va bien, ça ne devrait pas être juste l’économie, mais que tout le monde ait un toit», ajoute Gabrielle Brassard-Lecours.

Selon les deux journalistes, la très grande majorité des députés élus à l’Assemblée nationale sont propriétaires.

Plusieurs solutions à plusieurs causes

Construire

Oui, il faut construire davantage au Québec, mais il faut surtout bâtir du logement abordable, notamment du logement à but non lucratif financé par le public, insiste Louis Gaudreau.

«Il faut dissiper le mythe que de construire du logement social, c’est une dépense nette. Ce ne sont pas des logements gratuits, c’est une dépense qui est remboursée sur le long terme grâce aux loyers», soutient-il.

Acheter des logements vacants

Sauf que le problème de logement, «c’est maintenant, pas dans dix ans», rappelle Isaac Peltz.

Pour aller plus vite — et faire baisser les prix —, Louis Gaudreau propose ainsi d’acheter des immeubles existants pour les reconvertir en logements sociaux. 

«C’est touchy politiquement, mais il n’est plus question de maintenir l’abordabilité, mais de la rétablir. Je pense que la situation le demande», plaide-t-il.

@duoduet here is a brief intro to what we've found in the investigation #duoduet #published #quebec #writing #journalism #media ♬ original sound - DuoDuet

Revoir les priorités fiscales en logement

Inclure les résidences principales dans la taxe sur le gain en capital, c’est un plan pour «se faire lancer des roches», reconnaît Olivier Jacques. C’est toutefois une décision qui pourrait être nécessaire vu l’ampleur de la crise, insiste-t-il. 

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Photo d’archives
Photo d’archives

Selon lui, il existe aussi trop de programmes d'aide à l’achat d'une propriété.

Interdire la location à court terme

Plutôt que de limiter ou de mieux encadrer la location à court terme de type Airbnb, les journalistes Isaac Peltz et Gabrielle Brassard-Lecours voudraient la voir interdite dans des villes comme Montréal. 

L’objectif: remettre des logements sur le marché.

Mieux contrôler des loyers

Au Québec, le Tribunal administratif du logement (TAL) établit chaque année les taux moyens d’augmentation des loyers. Les propriétaires n’ont toutefois pas l’obligation de se limiter à ces recommandations. Les locataires reçoivent donc souvent des hausses bien plus importantes et qui sont difficilement contestables.

• À lire aussi: Préparez-vous à des hausses de loyer importantes au Québec en 2025

Isaac Peltz et Gabrielle Brassard-Lecours plaident pour la mise en place d'un véritable programme de plafonnement des loyers, ainsi qu'un registre officiel des loyers. Un tel outil donnerait un portrait plus juste de l’état du marché locatif, croient-ils. 


«Duo Duet»

Pour démêler les réponses faciles de la vérité et mieux comprendre la crise du logement, les journalistes Gabrielle Brassard-Lecours et Isaac Peltz ont lancé le projet «Duo Duet».

Dans le cadre de cette enquête bilingue, ils interrogeront des locataires, des propriétaires et des politiciens, mais aussi des urbanistes, des maires d’arrondissement, des comités de logement, des associations et d’autres experts.

Vous pourrez suivre les résultats de leur recherche sur les réseaux sociaux ou écouter leurs entretiens.

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